Acte I La promesse

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La journée touchait à son terme, je rentrais chez moi. Au loin, le ronflement de la ville, la rue était silencieuse ; je goûtais enfin au calme. Il y avait cette fille, sourire discret du quotidien, mots hésitants, regards furtifs, mon cœur pensait à elle. Elle apparut devant moi, « une douceur du hasard », songeai-je. Je rêvai un instant d'une terre sans interdit, d'un pas décidé que j'oserais. Une chimère. Soudain, dans la lumière dorée du crépuscule, elle fixa ses yeux sur moi et s'avança. Mon corps fut paralysé, je m'immobilisai net. Je n'imaginais pas : elle allait passer, me frôler, peut-être me saluer rapidement, pas plus, c'était forcé. Et là, fantasme insensé, elle s'arrêta face à moi ; je vis un rictus magnifique, plein d'appréhension et d'intrépidité :

- « Je... je voulais te dire que je t'aime...

« Est-ce que... est-ce que tu veux vivre avec moi ? »

Je ne pus rien bafouiller, je sentis le feu dans mes joues ; mon âme tremblait. Elle sortit une sphère curieuse, dans laquelle s'écoulait un sablier.

- « Réponds-moi vite, je t'en prie. »

J'en étais incapable. Je m'effondrai sur elle, l'enserrai, le monde embué. Son arôme s'étendit en moi, la délicatesse du velours. Elle me susurra :

- « Ce serait trop long à expliquer, il faut me croire. »

Je me détachai d'elle avec regret ; j'avais peur que l'on nous voie ainsi. Elle jeta un coup d'œil à sa paume ; une poignée de secondes lui restait. Son visage me retrouva :

- « Je viens d'inventer cette machine ; elle peut stopper le temps. Vivons notre amour, nous pourrons nous aimer au grand jour ! Vivons un amour au-delà du temps, une éternité à deux, nos âmes l'une contre l'autre. Je... je suis navrée de te demander ça si brusquement, mais ça ne marchera bientôt plus. Si tu le veux, c'est maintenant et pour toujours ; vivons d'un amour égoïste ou ne le vivons jamais. Tu dois choisir, ici, immédiatement. »

Je ne savais comment réagir. C'était inconscient, fou, terrifiant, adorable et tellement beau ; un conte de fée, et pourtant vrai.

- « Es-tu d'accord ? »

Tout mon être tressaillit, s'entailla pour ouvrir les lèvres :

- « O.... oui », soufflai-je de joie.

- « Alors faisons-le ensemble. »

Le tournis me gagnait. Je mis une main sur l'appareil, elle rencontra la sienne ; les voilà liées. Elle m'engagea :

- « Promets-moi de garder ce temps à jamais figé. C'est à toi de détenir le secret. »

Comme une seule personne, nous appuyâmes.

Noir.

J'avais fermé les yeux, pour retenir ce rêve. Le clic résonna longtemps, sourd, et rien ne se passa. J'entendais avec frustration le bruissement du vent, une voiture dans l'avenue voisine, un goéland dans le lointain.

- « Réveille-toi », jubila-t-elle ; dans nos paumes, le miracle, une poignée de sable immobile. Une pincée, pour l'éternité. Les larmes nous submergèrent et nous nous enlaçâmes. Pour toujours. Dans ce crépuscule romantique.

Ainsi commença le plus superbe des instants en suspens.

L'Instant voléWhere stories live. Discover now