Chapitre 13 (partie 2)

Start from the beginning
                                    

Je me relève en ramassant mes affaires.

— Pourquoi tu voudrais éviter le dîner ?

— Parce que je n'aime pas subir un interrogatoire et Viviane pose beaucoup trop de questions pour son propre bien.

Le pire, c'est qu'il ne le dit pas méchamment, et je m'abstiens de le contredire ; mon amie a la fâcheuse tendance de fouiner dans la vie des autres. Si sa carrière d'artiste ne fonctionne pas, elle pourra toujours se recycler en tant que recherchiste pour les médias.

— D'accord. Mais je t'avertis, je ne suis pas une experte en cuisine. Si tu dînes chez moi, tu vas devoir te contenter de tortellinis.

Willem hausse les épaules et s'avance vers la sortie. Je le suis de près en me maudissant d'être aussi excitée rien qu'à l'idée de passer du temps en sa compagnie. La faute à ma curiosité. Il y a tant de questions qui me tournent en tête chaque fois que j'en apprends davantage sur lui. Ses parents sont morts tous les deux... Qui l'a élevé ? Est-ce pour cela qu'il souffre autant de la proximité des autres ?

Dehors, le soleil réchauffe ma peau. Mes doigts s'étirent un instant pour capturer ses rayons dorés. Je m'apprête à traverser le trottoir quand Willem me retient en attrapant le bas de mon pull. Ses prunelles, débordantes de sincérité, brillent dans la clarté de l'après-midi.

— Ce n'est pas grand-chose, mais je tenais à le faire, car je te dois encore un truc pour la fois où tu m'as sauvé la mise.

Je cligne des paupières.

— Faire quoi ? Et tu ne me dois...

Les mots restent bloqués dans ma gorge lorsqu'il franchit l'espace nous séparant pour se planter devant moi, à moins de quelques centimètres de distance. Étonnée par son geste, j'esquisse un pas en arrière, mais il me suit en se rapprochant d'un second. Doucement, sa main se pose sur mon épaule ; sa paume, grande et chaude, tend mon corps comme un arc. C'est le comble de l'ironie. Il devrait être celui sur le bord de la crise de panique.

Pas moi.

Willem penche la tête sur le côté sans jamais se rendre compte de mon malaise.

— T'as les yeux aussi verts que l'émeraude. Je n'avais pas remarqué, mais en regardant de plus près, ils sont vraiment foncés...

La symbolique derrière cette soudaine proximité est telle que j'en ai des frissons.

— Ils n'ont rien de spéciaux comparés à ceux de Jay.

Il secoue la tête.

— Justement. Parfois, les choses les plus belles se trouvent dans la simplicité.

Ça, c'est déloyal.

Foutu écrivain.

— Je ne te comprends plus.

Il fronce les sourcils sans me lâcher. La confusion dans son regard me perturbe. Willem n'a pas seulement en horreur les contacts physiques, il ne sait pas comment se rapprocher des autres. Personne de « normal » n'aurait peur de toucher un individu ou n'entrerait aussi facilement dans la bulle de son interlocuteur sans que ce soit interprété d'une drôle de façon.

Mais bon, qui suis-je pour définir la normalité ?

— Pourquoi ? finit-il par me demander au bout d'une éternité.

— Parce que tu ne peux pas dire à quelqu'un de garder ses distances, pour ensuite te rapprocher comme ça sans prévenir.

Il étudie mes propos, l'air concentré, avant de retirer sa main.

Le Succès du Malheur - PUBLIÉ LE 6 MAI 2021 AUX ÉDITIONS NISHAWhere stories live. Discover now