Brandon

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Pendant la courte durée du trajet jusqu'au parking, Hayley ne me quitte pas d'une semelle. Son bras enlace ma taille alors qu'elle m'assomme d'un babillage incessant, comme pour rattraper le temps perdu. Jace grogne derrière nous.

— Mon ange, tu pourrais éviter de te coller à lui ? On dirait une moule accrochée à son rocher.

Elle jette un coup d'œil rapide par-dessus son épaule et lui lance, railleuse :

— Bakers, j'ai déjà ton gilet sur le dos, n'importe quel idiot sait que je t'appartiens. Arrête de vouloir marquer ton territoire à tout bout de champ. C'est Brandon, il faudra que tu t'y fasses ! Celui qui arrivera à me séparer de lui n'est pas encore né, alors cesse de ronchonner.

Pour toute réponse, Jace émet un autre grognement qui me fait marrer. Ma Glitter Girl a vraiment gagné en assurance, ces derniers mois.

Hayley reprend à mon intention :

— Tu verras, l'appart que Pops nous a dégoté est une tuerie. Chacun a sa chambre, on a deux salles de bain, une terrasse et, summum du luxe, un parking. Plus besoin de tourner pendant des heures pour se garer.

Hayley n'en a pas conscience, mais toutes les informations qu'elle me refile d'un seul coup me donnent le vertige et me rappellent que je me suis sacrément éloigné durant cet été. Je regrette de ne pas l'avoir écoutée quand elle m'a appelé pour me fournir tous les détails concernant cette histoire de colocation, mais elle appelait le mauvais jour. J'avais passé une sale nuit, pire que d'habitude, et j'avais un mal de crâne qui ne me quittait pas depuis mon réveil.

Durant l'été, Beverly et elle se sont démenées pour faire céder Pops. Il voulait que sa fille reste chez lui à cause du risque de représailles des Hell's Eagles. Et concernant Hayley, il suffit d'observer l'homme de Cro-Magnon derrière nous pour deviner qu'il aurait préféré qu'elle s'installe dans son studio.

— Il y aura qui dans l'appart ? demandé-je à ma meilleure amie, curieux.

— Toute la bande : Beverly, Cam, June, toi et moi.

— June aussi ?

Jace se marre. Il intervient dans notre conversation :

— Ouais ! Et je peux te garantir qu'elle s'est bien reposée durant les vacances. Niveau débit de conneries, cette nana est un cataclysme.

— Bakers... Hayley le reprend.

— Quoi ? C'est la stricte vérité. Tu veux qu'on reparle de la scène d'hier soir ?

Amusé, je me tourne vers Hayley pour plus d'explications. Elle grimace et finit par admettre :

— Bon, d'accord. June était en super forme. Mais vous êtes vaches avec elle, c'est une fille en or.

— Je ne dis pas le contraire, mon ange. C'est juste qu'il faut un temps d'adaptation pour la supporter.

— Je suppose que tu seras de la partie toi aussi ? questionné-je Jace.

— Ouaip ! Quand je serai dans le coin dans la semaine, du moins. Et le week-end, Hayley viendra chez moi.

Nous arrivons enfin à la hauteur du véhicule. Mes pieds sont incapables de faire un pas de plus, comme s'ils étaient cimentés au sol. Je dois être livide, car Hayley décèle mon malaise.

— Brandon ? m'interroge-t-elle, inquiète.

Je ne peux pas monter dans cette voiture, c'est au-dessus de mes forces. Ils ont pris un putain de van ! Le même modèle que celui de Garrett.

Jace étouffe un juron. A-t-il deviné ce qui se trame dans mon cerveau ? D'une voix parfaitement calme, il s'adresse à Hayley.

— Mon ange, grimpe à l'arrière. Brandon va m'aider à charger sa valise.

Suspicieuse, elle fixe mon unique bagage.

— Mais...

— S'il te plaît, Hayley.

Le fait qu'il l'appelle par son prénom doit éveiller quelque chose en elle, car elle n'insiste pas et obtempère.

— Brandon.

La voix de Jace me sort de ma léthargie. J'arrache mon regard du van et me tourne dans sa direction.

— Tu vas pouvoir gérer ?

— Je...

Je suis incapable d'émettre une seule phrase. Les mots restent coincés dans ma gorge. Sentant mon angoisse, il ajoute :

— Tu vas monter à l'avant, tu verras la route. Si tu as besoin, tu pourras ouvrir la fenêtre. À la moindre trace de panique, tu me fais signe et je m'arrête sur le bas-côté.

Plutôt que de lui répondre, je demande :

— Comment as-tu deviné ?

D'un mouvement du menton, il me désigne l'arrière du véhicule, soit l'endroit où s'est installée Hayley.

— Elle te semble forte maintenant, mais on a traversé pas mal d'épreuves durant ton absence. Elle n'en montre rien, pourtant elle s'inquiète pour toi. Elle appréhendait vos retrouvailles, elle t'a senti distant cet été, ajoute-t-il sur un ton de reproche.

J'opine du chef sans rien dire, ça ne le concerne pas. J'inspire un bon coup pour puiser un peu de courage en moi et souffle :

— Ça va le faire.

— Bien. File-moi ta valise et grimpe, dans ce cas.

Mes pieds semblent peser une tonne alors que je me dirige vers l'avant du véhicule. Une sueur glacée remonte le long de mon dos. Sans que je puisse les empêcher, des images de cette nuit de cauchemar viennent emplir mon esprit. Ma main entre en contact avec la poignée froide du van et je me retrouve tiré en arrière, vers le passé. Je ressens la douleur contre ma tempe, mon corps s'affaisser contre le sol. Mais à l'instant où la panique m'envahit, la douce voix d'Hayley me ramène au présent :

— Tout va bien, Brandon. Tu es en sécurité.

Ma vue, qui était devenue floue, s'éclaircit. Le visage serein d'Hayley apparaît devant moi. J'accroche son regard et m'y cramponne autant que je le peux. Avec des intonations apaisantes, elle me rassure :

— Tu ne risques rien. J'ai surmonté cette angoisse, tu y parviendras toi aussi. Une petite victoire à la fois !

Ses dernières paroles m'aident et la peur reflue jusqu'à disparaître quasi intégralement. Seul un léger malaise persiste, mais je peux dépasser cette sensation, je m'en sens capable.

J'adresse un sourire crispé à ma meilleure amie pour lui montrer que je suis revenu et grimpe dans le véhicule.

Une fois installé, j'expire tout l'air emprisonné dans mes poumons, je n'avais pas pris conscience que je retenais mon souffle. Hayley pose une main légère sur mon épaule et me la presse doucement. Nos regards se croisent dans le rétroviseur, elle affiche un sourire victorieux. Je mime la même expression. J'ai réussi. Je viens de remporter une manche contre mes angoisses. Mais je ne m'illusionne pas, cette victoire est si ténue qu'une simple brise pourrait la balayer.

Black Riders - girl crushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant