Pops

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Je descends dans la grande salle, encore un peu sonné par l'annonce d'Emmy. Ça va me faire drôle de ne plus la voir traîner dans les parages. À sa façon, elle me permettait de relâcher la pression et de garder un œil attentif sur tout ce qui se déroule dans le club. J'étais bien content de la laisser diriger les brebis. Les filles la considéraient comme leur chef, dès qu'il y avait un pépin elles allaient la voir, mais surtout elles respectaient ses directives, même quand elles leur déplaisaient. Les histoires de gonzesses ne sont pas mon domaine. Elles se crêpent le chignon pour un rien et sont capables de ressortir des trucs vieux de dix ans avec les détails et tout le merdier. Au moins, avec les gars, quand il y a un malaise, on se fout un bon coup sur la gueule et ensuite on n'en parle plus.

Sur la dernière marche des escaliers, j'observe les filles encore présentes après notre soirée d'hier. La plupart d'entre elles ont la vingtaine, elles sont là pour le grand frisson et ne comprennent pas l'essence même de la vie d'un club. Néanmoins, leur présence est nécessaire si je veux que mes gars continuent à garder la tête froide quand le grabuge déferlera sur nous. D'ailleurs, ce n'est qu'une question de temps pour que les emmerdes débarquent. Dès l'instant où elles se pointeront, ça va être un véritable raz-de-marée. On va se faire attaquer sur tous les fronts.

À voir le bordel qui règne encore dans la salle, je devine que les filles sont au courant qu'Emmy a pris la tangente. Si elle avait été encore là, les brebis seraient déjà au turbin pour nettoyer la pièce. Le soutif accroché à un cadre n'y serait pas, le sol ne serait pas constellé de mégots et de cadavres de bouteilles.

Mon attention se porte sous le billard. Pas de doute possible, ce sont bien des capotes usagées qui traînent. Au moins, les gars utilisent des protections, je ne vais pas me retrouver avec une fille en cloque, effondrée parce que le père refusera d'admettre sa paternité.

J'inspire un bon coup avant de descendre la dernière marche. Une brebis passe près de moi. Vu son état, l'alcool doit encore circuler dans son sang. Je l'attrape par le bras.

— Amène-moi un café.

La nana me regarde d'un air vide. Son absence de réaction m'irrite. Il y a deux trucs que je déteste : attendre et me répéter. Splinter, qui assiste à la scène, arrive à la rescousse de la fille, il lui file une claque sur le cul et lui lance :

— Bouge-toi et va chercher ce que le Prés' demande.

Un soupçon de lumière traverse ses iris, comme si elle venait enfin de comprendre sa mission.

Le temps qu'elle revienne, je siffle entre mes dents pour établir le silence dans la salle. D'un coup, les gloussements, les vannes des frères, le son de la télé et le bruit de la vaisselle s'arrêtent. J'élève la voix pour me faire entendre :

— Je suppose que vous êtes tous au courant, Emmy a quitté le club ce matin. Les filles, ce n'est pas une raison pour ne plus rien foutre. Je vous laisse une heure pour nettoyer toute cette merde. Vous connaissez le deal, on vous accueille tant que vous respectez votre part du contrat. Je ne veux pas de tire-au-flanc dans mon club. Celles qui ne sont pas contentes, la porte est grande ouverte. Mais si vous partez, ne cherchez plus à remettre les pieds chez nous. Pour les autres, au boulot !

Celle que j'ai décidé de surnommer « la lumière » arrive enfin avec une tasse dans la main que je saisis tout en hochant brièvement la tête en guise de remerciement. Puis je me détourne pour m'adresser à Splinter après avoir avalé une gorgée de café.

— Elle est ici depuis longtemps, cette fille ? Je n'ai pas l'impression de l'avoir déjà vue.

— Non, c'était sa première soirée hier. Elle a débarqué avec un des nomades du club. Il repart dans l'après-midi.

Black Riders - girl crushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant