11-Avancée et Désillusion

32 3 11
                                    

« Seulement, le vice et la perfidie des hommes eurent raison de l'honneur du cinquième »

Légendes Adjannes,
Traduction depuis l'oürih vers la langue commune
Cinquième partie

Les pas de ma monture me berçaient doucement. Je dus me faire violence pour me redresser sur ma selle. Nous traversions les plaines d'émeraudes des Basses Montagnes. Oubliant un peu mes cuisses en feu – être à cheval depuis plusieurs semaines était éprouvant – j'inspirai avec délice l'air des Qongs.

Enfin, j'étais de retour. Ma terre, mon peuple, j'appartenais à tout ceci. J'étais une partie du condor qui nous survolait depuis que nous étions à découvert, j'étais également le ruisseau que j'entendais glouglouter le long de la piste. Il me semblait effectuer moi-même les pas de ma monture, foulant de mes propres pieds les chemins de terre beige clairs si singuliers du nord. Le soleil était à son zénith, le vent allait faire son apparition dans quelques heures pour hurler toute la nuit. Pour le moment je savais que nous allions pouvoir profiter de plusieurs heures de calme. Inspirant une nouvelle fois l'air pur de nos montagnes j'avais l'impression de respirer des ondes de bonheur, rien ne pouvait ternir ma journée.

-Ho, planche à pain !

Sauf lui.

Au fait que j'avais refusé de lui révéler mon véritable prénom, Almar s'était découvert une passion pour les surnoms. Tous les plus idiots les uns que les autres. Je refusais de céder cependant. Qu'il me nomme « la grognarde » ou « planche à pain » selon ses souhaits, cela l'avait gardé la veille de bonne humeur et l'occupait assez pour ne pas poser trop de questions.

-Je ne me trompe pas en affirmant que ton père a eu un fils également non ?

-C'est exact , j'hochais la tête, un sourire sur les lèvres à la pensée de Temudjin

-Alors pourquoi t'avoir envoyée toi ? Je n'y comprends rien..., grogna le guerrier brun, visiblement excédé.

Son esprit avait visiblement tourné et retourné ces questions toute la journée. Il m'interrogeait de temps à autres, sa voix chaude rompant le doux silence dans lequel nous évoluions depuis le matin. Si j'avais au départ détesté voyager avec le brun, les choses semblaient désormais paradoxalement plus simples depuis qu'il avait découvert ma véritable nature. Je lui jetai un coup d'œil curieux. Le guerrier de l'Est s'était à nouveau renfermé dans ses pensées, plus rien ne semblait pouvoir l'atteindre.

Je m'amusais de le voir chercher des réponses aux questions que je me posais depuis presque quinze ans. Il me fallait attendre qu'il comprenne par lui-même qu'il était impossible de résoudre l'énigme. Du moins pas sans aide extérieure.

Et je comptais bien sur cette rencontre avec mon père pour éclaircir le sujet.

J'avais été ces derniers jours, extrêmement calme. Alors que j'aurais cru tout le contraire, au lieu de se renforcer, la fébrilité qui m'habitait à la pensée de retrouver mon peuple s'était muée en une étrange tranquillité. De même, la terreur ressentie lorsque je m'étais trouvée face à Almar dans les bains bien qu'encore présente, enfouie en moi, laissait peu à peu place à un sang-froid assuré : pour l'instant il ne dirait rien.

J'avais décidé de profiter pleinement de cette situation. Ici, perdue dans les Basse Montagnes d'Amyrrid, où seuls les rapaces et les lièvres pouvaient nous surprendre, je me découvrais lentement. Je laissais enfin ma nature de femme s'exprimer.

Cela avait commencé par des choses toutes simples, d'abord un changement dans mon vocabulaire. J'employais maintenant la première personne féminine et non plus masculine. Tandis que Almar parlait de lui en « hwa » je m'autorisais enfin à dire « nwa », comme toutes les femmes de ce pays.

Le Gozen -L'entente De Kahena-Where stories live. Discover now