Chapitre 6

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— Amuse-toi bien chéri, lança Loretta depuis le siège conducteur. Et pas trop d'alcool !

— M'man... Je ne bois pas...

— Oui. J'imagine que c'est ce que tous les adolescents disent à leur mère. J'ai été jeune avant vous.

Loretta lâcha un petit rire en voyant Travis secouer la tête puis lever les yeux au ciel.

— Eh ! Appelle-moi pour rentrer. Même s'il est quatre heures du matin, d'accord ? Et préviens-moi si tu restes dormir aussi.

Il acquiesça, juste avant que Loretta ne lève la main, paume à plat dans sa direction.

— Parole ?

Penché par la fenêtre ouverte du côté passager, Travis retint un rire.

— Maman... Les parents ne font pas ça.

— Tu as seize ans, et j'espère pour toi que tu n'es pas déjà père sinon tu vas entendre parler du pays. Ce qui fait que je suis la seule apte à juger de ce qu'un parent peut faire ou pas, d'accord bonhomme ? Parole ?

Sa main restait tendue si bien qu'il finit par céder.

— Parole !

Il tapa dedans. En réalité, il aimait cette proximité avec elle. Bien qu'ayant parfois l'impression que Loretta ne couperait jamais tout à fait le cordon, d'autres fois il se rappelait que personne au monde ne l'aimerait jamais plus qu'elle.

— Je t'aime, chéri. Bonne soirée.

— Moi aussi. Salut m'man !

Planté sur le trottoir, il observa la voiture s'éloigner trop vite à son goût.

Et maintenant ? 

De manière évidente, il était supposé rentrer. Du moins, c'est ce que la plupart des invités commençaient à faire. La peur envahissait peu à peu sa raison. Il n'avait rien à faire ici. Pour se rassurer, il relut le dernier message de S.

De : S
sam. 18 :35
A toute ♥

Une heure et demie déjà qu'il l'avait reçu. Il n'avait toujours pas répondu. À la vue de ces deux mots, ses sensations se bousculaient, valsant du contentement à la panique, une danse qui lui donnait le tournis. Il regrettait amèrement d'avoir voulu faire plaisir à Célia.

— Pourquoi j'ai fait ça ? J'ai horreur des fêtes... murmura-t-il les yeux rivés sur la maison.

Une haie de lauriers délimitait le terrain. Le bâtiment se targuait d'un toit de tuiles noires, et d'un large balcon de bois qui embrassait l'étage. L'épaisse porte d'entrée s'écartait tantôt pour laisser s'échapper quelques vibrations de musiques ; Travis l'imagina enfermer le monde du dehors dans le silence, empêchant celui qu'elle contenait de s'échapper.

Les deux battants de la grille de métal invitaient à entrer. Depuis le trottoir d'en face, il aperçut une banderole accrochée sous le balcon qui clamait un « JOYEUX ANNIVERSAIRE » auréolé de cotillons multicolores.

— Oh Seigneur, c'est pas vrai. J'ai horreur des fêtes...

Il s'éloigna sans réfléchir et ainsi la bâtisse de briques beiges disparut derrière les lauriers. Deux filles arrivaient en sens inverse. Il reconnut Anne-Sophie, qui l'avait invité à travailler avec lui. Elle leva trois doigts pour le saluer, la main empêtrée dans les poignées d'un sac plastique. Sa copine ne se formalisa pas de tant de politesse. Elle se contenta de ranger dans son sac une bouteille qu'elle venait de porter à ses lèvres.

Travis avança de quelques pas encore, longeant les maisons mitoyennes de briques rouges, évaluant la possibilité de trouver un bus à cette heure, quand il entendit son prénom hélé derrière lui.

Le garçon dans le noir ( S&T) T.1Where stories live. Discover now