Chapitre 1

30K 662 90
                                    

Journal de Laurie, non daté

Il est des personnes que vous rencontrez dans la vie dont vous avez l'impression qu'elles ne dorment jamais. Vous pouvez très bien les croiser au petit matin, à la rosée, au sortir d'un bois, le midi, dans un petit restaurant, en train d'avaler un morceau, ou encore en pleine nuit dans le brouillard de la fumée de cigarette, assises au comptoir d'un pub. Ces personnes, elles vous fascinent parce qu'elles ont ce que vous n'avez pas : cette capacité à ne paraître jamais dans un décor qui ne leur conviendrait pas. De plus, elles vous surprennent par le nombre incroyable de connaissances qu'elles ont. Vous avez l'impression qu'elles vous encerclent par un réseau d'influence dont vous seriez le centre, mais c'est là que vous vous trompez : le centre n'est pas vous mais elles.

Lorsque j'ai rencontré Camille, j'ai assez vite compris qu'elle était pareille à ces personnes, insaisissable et pourtant si présente. Elle s'est imposée à moi et est vite devenue indispensable. Il fallait qu'elle puisse venir à chaque fois que je lui demandais, pourvu que cela soit possible. Je voulais l'accompagner partout où elle allait, arriver à connaître toutes les personnes qui formaient son proche entourage. Elle était une sorte de modèle. Elle pouvait être debout à cinq heures du matin à se promener dans la neige fraîchement tombée de la nuit ; elle pouvait être l'instigatrice du journal du lycée, appréciée de tout le personnel d'encadrement ; elle pouvait être l'oiseau de nuit que l'on rencontre dans des boîtes underground. Elle était tout et son contraire.

Je lui ai parlé pour la première fois dans le bus. Celui-ci venait d'avoir un accident : une voiture avait grillé un feu rouge et s'était encastrée sous le pare-chocs. Par chance, le conducteur de celle-ci n'avait rien eu. Moi, en revanche, je m'étais violemment cogné la tête dans une des barres qui servent à se tenir. Je ne les utilise jamais et de plus je préfère rester debout : deux bonnes raisons pour ma mésaventure. Reste que si je n'avais pas eu ces mauvaises habitudes, je n'aurais jamais eu l'occasion de parler avec Camille.

C'est elle qui m'a tendu la main pour m'aider à me relever. J'étais un peu sonnée. Elle s'est présentée, elle ne m'a dit que son prénom, Camille, mais cette initiative m'a surprise et je suis restée un instant, muette, ne sachant pas vraiment ce que je devais faire. Je me suis aussi présentée. Le conducteur du bus a demandé à tout le monde de descendre et moi, je râlais de devoir me rendre à pied au lycée. Camille s'est moquée en s'allumant une cigarette. Elle m'a proposé d'aller plutôt boire un café dans un petit bar pas loin du lieu de l'accident. En retard pour en retard, autant ne pas se presser, m'a-t-elle dit toujours hilare. J'avais honte de ce que j'avais dit et de paraître à ses yeux comme une petite fille sage qui va et vient à l'école parce qu'on lui dit de faire ainsi. Camille semblait plus libérée par rapport à tout cela et ce, sans pour autant sacrifier sa scolarité. Elle la maîtrisait.

C'est vrai que la plupart du temps, les élèves font ce qu'on leur dit de faire ; peu importe s'ils ont le look de premier de promotion ou celui du rebelle, dans tous les cas, ils feront ce qu'on a prévu qu'ils fassent. Avec Camille, cela ne pouvait marcher comme cela. Elle en savait trop et elle avait bien assez de recul par rapport au circuit scolaire pour savoir exactement comment procéder pour arriver à ses fins. Cela peut paraître très trouble ce que j'affirme là, mais c'est parce qu'aucun exemple ne me vient à l'esprit à l'instant pour illustrer mes propos. Cependant, je suis certaine que vous comprendrez de plus en plus ce que je veux dire, à mesure que mon histoire progressera.

Je n'étais a priori pas opposée à la proposition qu'elle me faisait et je l'ai acceptée. Apparemment, ce n'était pas la première fois qu'elle allait dans ce bar car le patron est venu lui faire la bise et n'a demandé qu'à moi ce que je voulais. Je lui ai répondu que je prenais la même chose que Camille, feignant que je la connaissais depuis assez longtemps pour savoir quelle boisson il apporterait. Mais, je ne crois pas qu'il ait marché - et aujourd'hui, je peux l'affirmer -. J'ai pris alors l'initiative de la conversation pour éviter d'avoir à trop réfléchir à la raison pour laquelle je lui avais répondu ainsi.

EngrenagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant