Chapitre 9

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Journal de Laurie, 7 octobre 2000

J'ai beau tourner et retourner les choses dans ma tête, je n'arrive pas à comprendre comment les événements ont dérapé, à quel moment la mécanique nous a échappés. Nous savions, et j'en suis persuadée, que nous allions directement droit dans le mur. Je ne dis pas cela pour m'exempter des fautes commises car j'aurais pu à n'importe quel moment mettre un bâton dans l'engrenage et le freiner au moins, si je ne pouvais l'arrêter. Non, je n'ai rien fait : il y avait quelque chose à vivre, une histoire à écrire : quelque chose de romantique. Tout ce que l'on nous propose d'habitude est si fade. Je sais que ce je dis actuellement est choquant pour tout le monde, mais c'est tellement vrai. En plus, j'ai envie de sortir la matière en fusion qui me brûle les neurones l'un après l'autre depuis toutes ces années. Je n'ai plus rien à dire ensuite, j'ai fini ma représentation. Tombée de rideau.

* * *

Déposition de Laurie, 8 octobre 2000

La mère de Sam m'a téléphonée : je ne la connaissais pas vraiment, peut-être l'avais-je rencontrée une ou deux fois par hasard. L'hôpital avait téléphoné pour la prévenir que Sam s'était échappé. Là-bas, il ne considérait pas cela comme grave mais les changements de comportement observés durant les dernières semaines leur faisaient tout de même craindre quelque chose. En clair, ils ne savaient rien. La mère de Samuel m'a demandée s'il était venu chez moi et je lui ai évidemment répondu que non : la vérité. Elle s'est excusée de m'avoir dérangée et a raccroché.

Où était-il allé ? Chez Milly ? C'était beaucoup trop simple. De plus, Camille n'était pas dans sa chambre d'hôtel car j'y suis allée et j'ai demandé au réceptionniste. Je réfléchissais vite et je ne sais si vous pouvez vous imaginer la rapidité à laquelle tous mes souvenirs revenaient, se classaient, s'entrecoupaient pour trouver la réponse. Camille n'était chez elle et c'était une piste. Avait-elle été prévenue de la même manière que moi ? S'était-elle rendue à l'hôpital après la disparition ? Etait-ce quelque chose de convenu entre elle et Sam ? Tout allait vite et il fallait faire vite. Je me suis arrêtée vers les ruines du château de Vernes pour m'éclaircir les idées un instant car si je continuais de rouler comme je le faisais, je n'allais pas tarder à avoir un accident. J'ai ouvert la vitre et j'ai entendu la rumeur d'une dispute au loin. Intriguée, je suis descendu de ma voiture pour aller voir ce qui se passait.

Lorsque je suis arrivée à proximité des ruines, j'ai entendu des éclats de voix. Je me suis arrêtée de courir et je me suis approchée doucement. Ce que j'ai vu, c'était comme dans les tableaux de l'impressionnisme. J'ai vu l'image en mouvement de Camille et de Samuel sur fond d'un ciel troublé de pourpre, de gris mêlés. Quand je me suis avancée, c'était comme dans un rêve, mais tout au ralenti. Je me déplaçais ainsi que je l'aurais fait si j'avais été un fantôme, du moins, c'est la sensation que j'en avais. De là où j'étais, je pouvais les voir sans être vue, je pouvais les entendre.

« T'es-tu jamais regardée dans un miroir, Camille, et demandée si tu étais toi, si la personne que tu peux voir dans le reflet est ce que tu penses ou s'il s'agit tout simplement du personnage que tu laisses paraître aux autres pour éviter de te dévoiler. Tout cela parce que tu as peur. Peur de regarder la vérité en face : Je ne suis pas celui que je voudrais être car je ne sais plus, j'ai oublié celui que j'étais. »

« Arrête ce petit jeu, Sam, tu sais très bien que tu n'es pas fou. Pourquoi faut-il toujours que toute chose que tu fais soit le pire ou le meilleur ? Pourquoi ne fais-tu pas de compromis ? Tu sais des tas de choses sur les gens qu'eux-mêmes parfois ignorent, tu pourrais nager au milieu d'un banc de piranhas, tu en sortirais vivant. Pourquoi, Sam ? »

« Tu penses peut-être que c'est le pouvoir absolu, la formule magique du bonheur d'être en mesure de savoir si untel est hypocrite, si truc ne va pas tarder à je ne sais trop quoi faire… Te rends-tu compte au moins de tout ce que cela implique ? Tu ne t'imagines pas ce qu'est endurer les sourires de complaisance, les fausses engueulades, les conneries programmées. Tu ne sais pas ce qu'est la vie sans surprise. »

EngrenagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant