XXXII. Unique

Depuis le début
                                    

J'ai l'impression d'être unique.

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Lorsque nous frôlons les pavés de la place publique, une foule immense se presse afin d'obtenir la meilleure place. Les gens se rendent à cette exécution comme s'il s'agissait d'un spectacle. Cette simple pensée me fait frissonner. Comment peuvent-ils trouver cela divertissant ? Comment peuvent-ils se satisfaire de voir d'autres humains mourir devant leurs yeux ébahis ?

Lancelot ne quitte pas mon bras, le serrant fort pour me soutenir. Il sait très bien que si j'écoutais mon corps, je m'effondrerai à même le sol, inconsciente. Heureusement, sa présence et son amour me portent et m'aident à affronter cette triste réalité.

— Victoire..., souffle une voix féminine derrière nous.

Je capte rapidement le regard azur de mon ancienne dame de compagnie. Guillemette est accompagnée d'Achille de Chamberlain, dont l'oeillade me paraît plus bienveillante qu'à son habitude. La jolie rousse pose une main amicale sur mon avant-bras, l'air désolé, comme lorsqu'on souhaite ses condoléances. Je la remercie d'un sourire franc. Alors que je m'apprête à tourner les talons, peu encline à entretenir la conversation, l'époux de la jeune femme m'en empêche, me retenant de sa voix grave. Je leur fais de nouveau face, m'attendant à tout de la part de cet homme à l'allure glaciale.

— Je vous félicite pour votre courage, dit-il simplement. Peu de personnes auraient été capables de dénoncer leur propre père. Je me suis sans doute trompé sur vous et votre loyauté.

La manière dont il reconnaît ses torts me bouleverse. Un léger sourire parcourt ses lèvres, ce qui me sidère un peu plus encore.

— J'ai fait ce qu'il faut pour que justice soit faite. Le courage n'a rien à voir avec cela.

Sur ces belles paroles, j'entraîne Lancelot un peu plus loin, encore sonnée par cet échange. Je n'aurais jamais pensé qu'un homme comme Achille de Chamberlain puisse assumer s'être tromper en l'évoquant à haute voix.

— Vous semblez ravie, chuchote le médecin à mon oreille.

— Comment ne pas l'être ? Lorsque cette journée sera terminée, je partirai avec vous à Nantes et même mon pire ennemi n'aura pas un si mauvais souvenir de ma personne. Que puis-je espérer de mieux ?

Lancelot sourit malicieusement, alors que nous fendons la foule. Très vite, nous apercevons une silhouette familière en retrait, adossée à un mur à quelques mètres du lieu de l'exécution. Lorsque je croise le regard d'Hector, un frisson parcourt mon échine. Je n'imaginais pas le voir ici. Pourtant, quand on y réfléchit, c'est plutôt logique.

Mon père lui a volé sa mère.

Je me sépare du bras du médecin, puis m'excuse en montrant le Duc d'un signe de tête. Lancelot comprend immédiatement mon intention et me laisse filer sans un mot de plus. Je me retrouve très vite près d'Hector qui semble surpris par mon initiative.

— Merci, dit-il simplement. Merci d'avoir osé dénoncer votre père.

— Qu'aurais-je pu faire d'autre ? Il a gâché la vie de trop de personnes.

— Vous me manquez. Le château est vide de votre rire.

Je le sens sincère et ça me fait un mal de chien. Malheureusement, je sais que ma vie sera meilleure sans cet homme dans les parages. Mon époux possède de nombreuses qualités, mais ce qu'il m'a fait subir est inoubliable. Je ne souhaite jamais revivre un tel enfer.

Hector laisse son regard glisser jusqu'à Lancelot qui doit se faire violence pour ne pas nous observer en coin. Le visage du jeune Duc devient tout à coup nostalgique, contrit par de bouleversantes émotions.

— Je comprends qu'il vous ait choisie.

Comment a-t-il pu deviner ?

— Vous êtes unique en votre genre, Victoire.

Mon cœur bat la chamade, je me demande même comment je vais passer cette journée tant mes sentiments sont mis à rude épreuve. Je remercie mon mari d'un sourire tendre, contente qu'il puisse mettre sa jalousie de côté.

— Un homme comme Lancelot saura vous rendre heureuse.

Je l'espère. Je l'espère tellement.

Je lève la tête vers le ciel en constatant que quelques gouttes de pluie tombent sur ma nouvelle robe.

— Cessez de vous détruire, Hector, lancé-je avant de rejoindre celui que j'aime.

Lorsque j'arrive près de lui, le médecin m'interroge du regard pour s'assurer que tout s'est bien passé, puis couvre ma tête avec sa veste pour m'empêcher d'être trempée jusqu'aux os. Le temps se couvre de plus en plus, les nuages sont gris foncé et l'orage gronde au loin. Le juge grimpe sur la « scène » mise en place spécialement pour l'occasion.

Mais dans quel monde vit-on ?

Pendant de longues minutes, il nous explique que nous allons assister à l'exécution de trois hommes ayant commis des crimes irréparables. Il évoque la situation de chacun, les condamnés montant successivement sur l'estrade en bois. Le tour de mon père arrive en dernier et alors qu'il grimpe les quelques marches menant à sa sentence, il ne me quitte pas des yeux. Je n'y perçois aucune haine, simplement de la lassitude. Je pourrais choisir de baisser la tête, mais je soutiens son regard, je ne veux pas qu'il pense que j'ai un quelconque regret.

J'ai fait ce que j'avais à faire.

Le ciel ne devient pas plus clément, bien au contraire. Lorsque les trois hommes montent sur des petits tabourets et que leur bourreau entoure leurs cous d'une corde, le tonnerre explose. Je sursaute face à la violence du bruit, mais les autres personnes semblent bien plus hypnotisées par le « spectacle » que par la météo. J'accroche ma main dans le dos de Lancelot, alors que la pluie continue de nous mouiller.

Le discours de condamnation touche à sa fin et chacun des hommes peut prononcer un dernier mot. Aucun d'eux ne parle. Mon père continue simplement de me fixer, ce qui me rend de plus en plus mal à l'aise.

Au moment même où le bourreau donne un coup de pied dans le tabouret de celui que j'ai dénoncé, un éclair puissant illumine la foule. Les corps des condamnés se crispent face au choc de la pendaison et, alors que les yeux de mon père ne me quittent toujours pas, tout tourne autour de moi. Mes jambes semblent me lâcher et sans même que je puisse me contrôler, je m'effondre au sol, inconsciente.

Lancelot penché sur mon corps est la seule chose que je vois avant que mes paupières ne se ferment. 

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Hello mes pandas !

Je m'excuse mille fois pour ce mois de pause, mais j'en avais férocement besoin. J'espère que vous comprendrez et que vous ne m'en tiendrez pas rigueur ! Je reprends doucement mes différents projets et les mises à jour de mes histoires. 

L'épilogue de Victoire sera posté samedi, comme je suis en vacances, ça va être plus facile pour moi ! Qu'attendez-vous pour ce dernier chapitre ? J'espère que vous allez rigoler au moins autant que moi lorsque je l'ai écrit !

Je vous embrasse,

Valentine

VICTOIRE - La théorie de la RenaissanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant