Le lion de l'East End

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Lewis Harrington fixait, à travers le faible espace de ses volets vénitiens, la clarté qui zébrait timidement le bureau dans lequel il était, là, assis dans son fauteuil de cuir, devant un meuble en chêne massif. Une lubie, dirons-nous. Cet homme aimait le luxe, il s’y complaisait, comme une chenille trop confortablement installée dans son cocon pour en sortir. Quel dommage, se disaient ceux qui avaient la chance de l’apercevoir. Peut-être aurait-il pu devenir un beau papillon, s’il s’était davantage montré au sire Soleil. Le teint cireux de Lewis Harrington miroitait à peine et on distinguait plus de rides sur son visage qu’il ne devrait en avoir. L’ébène de ses cheveux tirés en arrière, tenus en place par une fine couche de laque, accentuaient d’autant plus la couleur ivoire de son faciès. Cet homme ressemblait à une antiquité, disaient certains. Une antiquité qu’on préférait voir dans un placard, cachée, plutôt que dans une grande salle très fréquentée. Les gens de la bonne société seraient trop gênés par le regard que ladite vieillerie leur adresserait. Un regard brun, légèrement ambré, presque semblable à celui d’un fauve. Le plus dérangeant était sans doute cette étincelle, juste là, dans sa pupille ; comme si, rien qu’en vous regardant, Lewis Harrington savait tout de vous.

Encore aujourd’hui, Lewis Harrington fixait. Il attendait quelqu’un qui ne l’avait pourtant pas prévenu. Mais il viendra, ce prévisible et risible individu. Cet escroc qui avait signé un contrat avec lui, afin qu’il le débarrasse d’un témoin gênant. Ce que Harrington, en bon homme d’affaires qu’il était, avait tout naturellement fait en demandant à l’un de ses sbires de se salir les mains à sa place, tout aussi naturellement. Il allait de soi que ce genre de service avait un prix, et pas n’importe lequel. Harrington avait sans doute été un peu trop naïf avec son client, car celui-ci, non content de payer en retard, n’avait pas non plus pris en compte les intérêts. Parfois, il revenait le voir, histoire de lui assurer qu’il lui paiera ses dettes et de lui demander de rallonger le délai. Harrington avait accepté une fois, deux fois. Mais pas parce qu’il était clément. Il voulait juste tester son client. Ainsi, il avait envoyé quelques agents enquêter sur lui, le suivre pour voir s’il ne faisait rien de louche. Le rustre n’avait en fait – comme Harrington s’y attendait – aucune intention de payer sa dette et, par extension, préparait en secret son départ pour quelque contrée inconnue où s’établir avec son argent sale. Si cet homme ne semblait n’avoir que deux yeux, il en possédait dans tout Londres. Voleurs, malfrats, dealers, prostituées, fossoyeurs… Si certains gens de l’ombre ne vivaient pas sous la coupe de Harrington, ils étaient potentiellement capables de l’être sous peu.

Là. On frappait à la porte. Le quarantenaire joignit les mains. Il n’était pas encore temps de se réjouir. Peut-être n’était-ce pas lui… Mais on lui avait assuré qu’il devait venir aujourd’hui même, à cette heure-là.

« Entrez. » lâcha-t-il finalement.

Sa voix était douce et apaisante, suave, créant un contraste dérangeant avec son inquiétant physique. Harrington n’avait pas le sang chaud. Gronder et hurler étaient une perte de temps et d’énergie pour lui, si ce n’était d’autorité. Il savait qu’il en imposait suffisamment pour se passer de telles futilités. Figé, il regarda la porte s’ouvrir dans un grincement timide, poussée par une main hésitante. Ah ! C’est qu’il avait peur, le malfrat. Celui-ci, paré d’un impeccable costume trois-pièces, n’attendit pas l’autorisation de son hôte pour s’asseoir sur le fauteuil en face de lui. Quel sans-gêne, se dit Harrington. S’il voulait se faire bien voir pour reculer encore la date du paiement, c’était raté.

« Bien le bonjour, Lewis !  clama-t-il finalement d’un ton faussement joyeux, un sourire forcé aux lèvres.

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⏰ Last updated: Aug 22, 2014 ⏰

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