Nations

Chapitre 39 : Comprendre

Beovar et Léna échangèrent un regard confus, si bien qu'Erik se sentit de préciser :

"Je suis sérieux. Je vous apprécie, tous les deux. Mais il faut que vous respectiez la hiérarchie, c'est la base de votre service. Vous êtes réfléchis, alors je vois bien que vous ne pensez pas à mal. Mais pensez à ce qui arriverait si tout le monde agissait comme vous. Une force armée sans cohésion est vouée à la déroute. Et la cohésion, chez les paladins, c'est l'obéissance au chef. Ce n'est pas faire ce que l'on veut, même si on croit très fort que c'est juste."

L'instructeur balaya ses élèves du regard une nouvelle fois. Léna baissait la tête, sans qu'on puisse dire si elle était pensive, honteuse, ou furieuse.

Beovar commençait à comprendre. Il se remémorait le moment où Léna l'avait protégé du coup de Marcus. Il avait vu la réaction des autres, le respect dans leurs yeux. Il avait vu la défiance que ses camarades avaient pour Marcus.

Et il s'en était réjoui.

Avait-il été égoïste, alors ?

Sur le champ de bataille, un escadron de paladins défiants envers leur chef était une foule de déserteurs en puissance. Il n'avait pas voulu l'admettre, mais Erik avait tout à fait raison quand il évoquait ce risque. Et d'autant plus quand on pensait à ce que ce risque impliquait pour le groupe...

Alors, convaincu, Beovar acquiesça :

"Je comprends, maintenant."

Même si cela ne lui plaisait pas.

"Comment..." commença alors Léna, la voix tremblante.

Elle avait relevé la tête, et des larmes coulaient sur son visage. Les sillons humides traversaient les traces de blessures récentes. Elle renifla, tenta de reprendre la maîtrise de soi.

"Comment être sûrs de faire le bien si on ne faire qu'obéir aveuglement à des ordres ?" demanda t-elle, perdue.

"Comment peux-tu être sûre de faire le bien si tu agis selon tes propres désirs ?" rétorqua Erik. "Fais confiance à ton supérieur. Il a plus d'expérience, et sa mission est de te maintenir en vie. Il n'a aucun autre désir en tête."

"Faire confiance..." répéta t-elle.

"A Marcus, difficile, hein ? Dis-toi que tu fais confiance à tes camarades, pour te supporter et remplir les missions que ton chef te donne. Fais confiance à toi-même pour avoir la force de les accomplir. Et fais confiance à la Lumière pour te soutenir quand il le faudra."

Léna eut un geste de recul. La détresse se lisait dans ses yeux rougis par le flot des larmes.

Beovar ne put s'empêcher d'avoir de la peine pour elle.

"Léna ?..." questionna Erik, inquiet.

"Ça va, ça va..." fit-elle doucement. "C'est juste que... Je ne sais pas si je suis faite pour devenir Paladin dans ces conditions."

Le choc remua les entrailles du jeune élève. Sa camarade l'avait accompagné depuis plusieurs mois déjà, et des liens forts s'étaient créés entre tous les frères d'arme, encore plus entre les deux jeunes gens depuis l'événement du dernier soir.

L'adversité était un outil efficace pour souder les apprentis et leur apprendre le sens de l'entraide, et Marcus savait en abuser. Même s'il n'était pas directement concerné, il ne voulait pas voir Léna partir.

"C'est ton choix, tu sais." reprit Erik, visiblement perturbé lui aussi. "Mais souviens-toi que tout choix a ses conséquences."

"Le choix, je ne l'ai pas." articula-t-elle en réponse, amère. "Si je veux subvenir aux besoins de ma mère, de mes frères... Elle tombe malade, et on ne gagne pas assez d'argent à la maison... J'ai besoin de cette solde, et je ne sais être que paysanne ou soldat. Ma naissance ne me permet pas autre chose."