/1/ this marxist boy

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 « Bonjour, madame Mars.

— Bonjour Vincent, le salua-t-elle avec froideur. Vous connaissez le chemin. »

Chrisobel adressa un sourire hypocrite au chauffeur, et ajusta son rouge à lèvre. Sur sa tablette, elle vérifia les comptes, la bourse, les actualités. Réchauffement climatique, réchauffement climatique, elle vous en foutrait, du réchauffement climatique. Elle tira sur son tailleur, ajusta sa jupe noire, refit son chignon châtain.

« Dites-moi,Vincent, vous préférez le collier à rubis ou celui à topazes ?

— Les deux vous vont très bien, madame, dit l'homme sans hésiter.

— Vous êtes gentil, Vincent. »

Elle retoucha un peu son mascara, en remarquant qu'une usine au Bangladesh s'était effondrée. Une vingtaine de morts. Chrisobel enverrait des boîtes à sapin et un petit dédommagement aux familles, et on l'appellerait l'Humaniste ! Le monde capitaliste la faisait rire. C'était magnifique. New York défilait derrière la vitre. Son appartement de Manhattan disparaissait derrière elle.

Vincent gara la splendide Lamborghini, ouvrit à sa patronne dans une courbette. Elle ne lui accorda aucun regard, et entra dans son siège social. Fourmilière de stagiaires empotés, de secrétaires affairés, de comptables pressés. Royaume de la chemise cintrée et des suicides corporates. Chrisobel salua la concierge qui lui offrit son café coutumier.

« Madame Mars, réunion des actionnaires à 13 heures. » l'aborda une blonde en stilettos rouges.

« Madame Mars, nous avons reçu un appel de la Maison Blanche, quand pourrez-vous rappeler ? » demanda l'homme aux cheveux rasés.

« Madame Mars, des manifestants sur la onzième menacent d'envahir notre siège, on fait quoi ? » l'interpella un agent de sécurité en uniforme noir.

Chrisobel signa un contrat, et le transmit à Amanda McCormick, sa secrétaire.

« Madame Mars, la Chine boycotte nos produits, je propose de racheter une société chinoise pour compenser. » marmonna un vieux type en costume.

Elle ne lui répondit pas, et crut entendre un « sale pute » dans son dos. Elle s'en fichait, elle savait qu'une jolie jeune femme avec des responsabilités était, pour les esprits étroits, soit une fille à papa soit une prostituée profitant des promotions canapés. Mais Chrisobel était là par son seul mérite, elle était l'incarnation de la self-made woman américaine. Partie de rien, fille de la classe moyenne, bosseuse, talentueuse... Elle souriait en s'auto-congratulant. De la main droite, elle licencia une vingtaine d'employés ayant provoqué une émeute dans un atelier de l'Arkansas.

Repas à la cafétéria du siège. On mangeait bien, elle y tenait. Chrisobel s'installa à une table, attirant toutes les mouches à merde opportunistes du coin, quémandant une augmentation pour service rendu. À chacun, elle leur offrit un sourire poli et lissé, fermant son visage à toute négociation.

« Madame Mars, interview pour Fox News à 18 heures. » annonça Mrs. McCormick.

Réunion des actionnaires. Toujours plus, toujours, plus. Elle ne céda rien.

Les journalistes débarquèrent dès moins le quart.

« Madame Mars, comment expliquez-vous votre succès ?

— La réussite, sourit-elle, réside dans la détermination et le travail. Je suis fille d'un chauffeur de taxi et d'une institutrice, et aujourd'hui je suis une grande entrepreneuse.

— Vous avez un message pour toutes les petites filles qui nous regardent ?

— Nous vivons dans un monde d'hommes, mes chéries. N'ayez pas peur de vous affirmer, n'écoutez pas les racontars qui courent sur vous. Vous êtes fortes. »

Elle poussa la porte de son bureau, commanda une bouteille de champagne.

« Madame Mars, nos associés tokyoïtes aimeraient s'entretenir avec vous lundi prochain, je prends les billets ?

— Faites, Amanda, faites. »

Chrisobel consulta son téléphone, les réseaux sociaux. Une image parfaite. Un simili-bachelor se jouait sur son compte Instagram officiel, certains voulaient la voir convoler en justes noces avec un quelconque héritier fadasse... Elle préférait sa vie célibataire, avec de temps en temps un escort-boy, ou une escort-girl à l'occasion, pour réchauffer son lit.

Elle se servit flûte, en proposa une à la bonne vieille Amanda.

Soudain, les alarmes incendie s'activèrent. Chrisobel attrapa son Macbook, vérifia les caméras disposées partout sur chaque mur de sa tour d'ivoire. Rien. Pas de feu. Juste un groupe d'étudiants un peu trop bolchéviks voulant faire la révolution. Amanda faisait une crise d'angoisse en pleurant, elle ne tenait pas la pression. Les gosses allaient faire un peu de bruit, puis ses avocats feraient le reste. Chrisobel s'enferma à clef sans sourciller dans son office, barricada avec une chaise. Les marxistes essayaient d'enfoncer la porte avec un extincteur.

« Je vous en prie, Amanda, calmez-vous. »

Amanda s'agitait toujours en pleurant. Elle avait perdu ses immondes lunettes rectangulaires dans sa panique. Les casseurs tapaient toujours. Chrisobel soupira, composa le 911.

« Allô, 911, quelle est votre urgence ? demanda l'opérateur fatigué.

— Tour Polymar Inc, des manifestants turbulents se sont infiltrés. Vous avez besoin de l'adresse ?

— Inutile, madame, nous la connaissons. »

Chrisobel regarda le tiroir de droite, tout haut, de son bureau. Elle avait un revolver, Beretta chargé et prêt à tirer, au cas où cela dégénérerait. Mais ce n'était que pure précaution, ça ne dégénérait jamais.

La secrétaire avait perdu connaissance, la femme d'affaire se précipita la mettre en PLS. L'opérateur l'autorisa à raccrocher.

Les manifestants entrèrent. Ils étaient cinq. Des étudiants, à leurs airs d'ahuris se pensant géniaux. Des t-shirts rouges, des brassards à faucille et marteaux. Des marxistes. Évidemment, il fallait que ce soit des marxistes, la pire espèce. Un sortait du lot, cependant. Le regard sombre, magnétique. Cheveux longs pour un garçon, une barbiche ridicule, une prestance certaine.

« Qu'est-ce que vous voulez ? De toutes façons, vous connaissez la réponse, soupira-t-elle sans quitter des yeux l'étudiant aux cheveux longs.

— Voilà nos revendications, grogna la fille qui semblait être la cheftaine du mouvement en lui tendant un fichier. On part pas tant que vous avez pas signé.

— La police sera là avant que je ne cède, si ce n'est mon service de sécurité, répondit la PDG d'un air détaché en reversant du champagne sur les feuilles. Bravo, les enfants, pour être arrivés jusqu'ici. Maintenant, c'est fini, il va falloir redescendre. »

Elle jeta un coup d'oeil à la fenêtre. Tiens, tiens, plusieurs chaînes d'information. Ah, ces journalistes. Les sirènes retentirent. Les cinq étudiants communistes s'échangèrent un regard, avant de fuir. Chrisobel les vit se séparer, emprunter des voies différentes. En quelques clics, elle informa les gardiens. Elle n'allait pas les rater, les petits rebelles en carton.

Un. Deux. Trois. Quatre... Où était passé le cinquième ? Chrisobel chercha sur son écran. Rien. Évaporé. Le garçon aux yeux noirs et aux cheveux longs... Elle y repensa, un sursaut la parcourut. Elle se reprit. Doué, le rouge, doué. S'il n'avait pas eu ces idées, elle l'aurait sans doute pris pour remplacer le directeur commercial, qui avait les dents rayant un peu trop le parquet. Ses lèvres s'étirèrent quand il apparut face à la caméra donnant sur les poubelles, à l'extérieur. Il avait dans sa main une feuille A4, pliée, qu'il brandit face à l'objectif. Elle zooma, plissa les yeux pour lire les grosses lettres faites au marqueur.

« Si vous me cherchez, Elliott Montoya, livreur de pizzas, universitaire. »

Il retourna la feuille.

« Vous ne ferez rien contre moi. J'en suis sûr. Adios camarade capitaliste, je reviendrai répandre la bonne parole. »

Il tira la langue, et s'enfuit.

Elliott Montoya, donc ? Chrisobel sourit. Ils se reverraient.

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⏰ Last updated: Aug 20, 2021 ⏰

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-mrs. marsWhere stories live. Discover now