1 : "C'est notre table, dégagez."

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Chapitre 1


   Voilà : ma valise est prête. Ma mère ne me supporte plus et m'envoie en pensionnat... Un établissement qui est censé supporter les pires cas et ne jamais renvoyer personne. Je me demande si ce n'est pas un établissement militaire. Magnifique.

   Malgré le fait que je ne veux absolument pas y aller, je monte dans la petite fiat rouge de ma mère et me mets les écouteurs dans les oreilles afin de ne pas devoir parler avec ma mère. Je l'aime beaucoup, mais notre relation n'a jamais été... Un modèle à suivre, disons. Je fais défiler les chansons de ma playlist favorite du moment et sélectionne "Sign of the times" de Harry Styles. Je laisse la musique me faire voyager alors que je regarde les arbres défiler par la petite fenêtre.


***


   Quand je me réveille, une bonne heure plus tard, ma montre indique dix-huit heures trente. La voiture s'est arrêté et ma mère est déjà dehors, prête à me larguer devant l'établissement. Car oui, dans le fond, c'est un peu comme si j'étais une bombe à retardement.

   Je me glisse hors de la voiture pendant que ma mère sort ma valise du coffre. Un grand établissement gris sale s'élève devant nous,  entouré de grands arbres menaçants. Voilà un joli décor de film d'horreur... Le décor reste toujours le même une fois à l'intérieur : ambiance froide et simple. À l'accueil, une femme au visage stricte et aux cheveux grisonnants remonte les lorgnons rouges qui avaient glissé sur son nez et me demande mon nom pour regarder sur sa liste et me donner mes affaires pour la rentrée. La reprise des cours est prévue pour mi-septembre, soit presque dans un mois.

- Amber Kate Jones, je déclare d'un air enjoué. Il faut bien redonner un peu de vie à cet endroit ! Je suis impaciente de mener la vie dure à tous ceux qui essaierons de ce mettre sur mon chemin.

   La vieille femme fixe son écran à travers ses lunettes qui, soit dit en passant, occupent la moitié de son petit visage ridé. Elle fronce ses sourcils pour se concentrer, et je me retiens de rire devant ce spectacle peu commun. Cette femme va, elle aussi, bien avec l'ambiance de cet internat paumé.

- Mmm laissez-moi voir... Vous êtes là. Tenez, voilà vos affaires.

   Elle pose un gros sac, qui doit peser environ deux tonnes (à vue de nez), rempli de livres et cahiers sur le bureau et continue de contempler la photocopie, toute chiffonnée.

- Vous partagerez votre chambre avec Elisa Posey. Chambre 126. Merci, au revoir.

   Ça mérite d'être clair. Mon éternel sarcasme ne peut s'empêcher de pointer le bout de son nez.

- Enchantée de faire votre connaissance, moi aussi, je réplique en lui adressant le sourire le plus faux possible.

   Ma mère hoche la tête à l'attention de la femme et se tourne vers moi. Elle ne réagit même plus à mon comportement "insupportable", de toute façon.

- Bon, je te laisse t'installer. J'espère que tu réussiras à te faire des amis, quand-même. Prends exemple sur ton frère, pour une fois !  On se voit vendredi...

   J'ai envie de lui expliquer que je ne suis pas anti-sociale, mais plutôt sincère, et que c'est ça qui ne plaît pas souvent. D'autre part, je rentre tous les vendredis soirs et reste le week-end chez moi. Ça me permet de rendre visite à mon chat et à mon grand frère, Tanner. Bon, et à ma mère, accessoirement.

   Je fais un signe bref de la main à ma génitrice et pars en quête de ma chambre.


   Je déambule dans les couloirs, à la recherche de ma chambre. Tout semble pareil, je ne sais même pas par où commencer, alors je me contente de suivre les numéros et passer les portes une à une. Ils pourraient mettre des indications, quand-même !

   124...125... Ah, voilà !

   Toutes les portes du couloir se ressemblent, seuls les numéros qui y sont inscrits changent. Je pousse la porte rouge avec la petite étiquette "126" et entre. La chambre est assez petite, avec deux lits superposés et deux armoires collées pour ranger nos affaires. Une porte mène à une petite salle de bain. Et apparemment, ma colocataire s'est déjà installée.

- Salut ! me lance une jolie blonde, qui doit avoir mon âge.

Elisa Posey, je présume. Voyant que je suis trop occupée à galérer avec ma valise pour lui répondre, elle se contente de poursuivre :

- J'ai pris le lit du bas, ça te dérange ? Ah oui, et je suis Elisa, mais je préfère El'.

Elle m'adresse un sourire chaleureux en me tendant la main. Je la serre et lui rends son sourire. Ses yeux pétillent et je devine qu'il n'y a pas souvent de nouveaux, dans ce trou perdu.

- T'inquiète, je préfère celui du haut, et moi c'est Amber.

   Elle hoche la tête rapidement, puis s'assoit sur son lit et le tapote pour que je m'assoie près d'elle. Je m'exécute et la regarde, attendant qu'elle  parle. Elle est plus petite que moi, blonde aux yeux marron foncé et, j'avoue, très mignonne.

- Il faut qu'on apprenne à se connaître... Tu as quel âge ? Moi, j'ai dix-huit ans.

- Dix-sept ans. Tu as des frères ou sœurs ?

- Non, et toi ?

- J'ai un grand frère, Tanner. Il a dix-neuf ans.

- Et il est aussi beau que toi ?

- On se ressemble beaucoup, lui dis-je en souriant face à son compliment.

   Je suis plutôt grande, cheveux châtains bouclés, yeux marron vert, petites taches de rousseur, peau bronzée et plutôt mignonne dans mon genre, mais je ne suis pas un canon non plus.

- Je t'aime bien, je te le présenterai peut-être, dis-je en lui lançant un petit clin d'oeil et un sourire radieux illumine son visage.

  Elle regarde sa montre et me sourit, toute excitée.

- C'est l'heure de manger ! s'écrie-t-elle.

   El' et moi échangeons un regard et on se comprend tout de suite : on a toutes les deux très faim. Alors, je balance ma valise bleue sur mon lit et pars à la cafétéria avec Elisa d'un pas pressé.


*** 


   Après avoir eu notre portion de steak-frites, on s'assoit à une table et on commence à manger tout en discutant de tout et de rien, pour apprendre à se connaître peu à peu. Elisa est au pensionnat depuis ses quatorze ans. La grosse misère... Son père est mort et sa mère noie sa peine dans son travail.

   Soudain, la porte s'ouvre et je vois un groupe de quatre garçons entrer dans la salle. Tout le monde se tait ; je me tortille dans tous les sens pour regarder les jeunes qui bavardaient il y a à peine dix secondes, cherchant à comprendre ce qui se passe, mais ils semblent trop absorbés par leur assiette. Même Elisa, qui s'avère être une pipelette, est maintenant bouche bée. J'ai presque envie de rire face à ce silence soudain, mais un sentiment de malaise m'en empêche. Les nouveaux arrivants se dirigent vers nous avec leurs plateaux et un grand blond platine déclare sur un ton glacial :

- C'est notre table, dégagez.

Quinn [terminée, en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant