Ne nous ÷ pas (disponible partout en numérique en en Broché sur Amazon)

La fuite (Arcadian)

AUJOURD'HUI...

Août 2013 - Marco

Depuis un mois, ce marché du samedi me semble interminable. Pourtant avant de te connaitre, il s'agissait de l'un de mes préférés. Mais c'est un supplice de savoir que tu te trouves peut-être à quelques centaines de mètres à peine, et que je ne peux pas venir te voir ou te toucher.

Un mois déjà que je suis parti de chez toi au petit matin, un mois que nous ne nous donnons plus de nouvelles. Plus depuis quelques échanges de photos sans texte les premiers jours. Mais ça devait être aussi difficile pour toi que pour moi puisque nous avons cessé tous les deux. Une sorte d'accord tacite. Je pourrais lire tes cahiers pour grappiller encore un peu de toi, mais bien que curieux de connaitre les secrets qu'ils renferment, j'en suis incapable.

Ce matin-là, je ne suis que l'ombre de moi-même même si je fais bonne figure et tente de donner le change face aux vannes de mes frères. Mais le cœur n'y est plus. J'ai rêvé de toi toute la nuit. La faute à ces fichues chansons que j'écoutais en m'endormant probablement.

Vis-tu toujours ici ou as-tu accepté l'un des autres Master pour auxquels tu avais postulé ? Je me surprends à guetter chaque fille qui te ressemble un tant soit peu dans la foule. Je suis ridicule ! Mais je n'arrive toujours pas à comprendre comment il est possible de partager autant de choses pour redevenir de parfaits étrangers la minute suivante. N'être plus rien l'un pour l'autre, après tant... C'est impossible. Et c'est absolument injuste. Mais la vie est une pétasse, et elle ne nous laisse pas toujours le choix.

Le tonnerre me sort de mes pensées. Avec un ciel aussi chargé, les gens se pressent et n'achètent que de l'alimentaire aujourd'hui.

Je lance un regard à Tonio sur le stand d'en face. Lui aussi scrute les nuages noirs. Lorsqu'il baisse la tête, ses yeux croisent les miens.

— Je crois qu'il vaut mieux remballer vite fait, Pequeño !

— J'allais te dire la même chose.

Alors que je me presse de charger mes derniers cartons dans le fourgon avant que l'orage n'éclate, Miguel m'appelle sur son stand.

— J'ai un problème avec mon barnum, il est coincé. Tu peux m'aider ?

À deux, la tâche s'avère beaucoup plus simple et en quelques minutes à peine, tout est plié.

— Merci, c'est bon, je vais terminer si tu veux aller acheter un truc à manger avant de rentrer.

— Non, ça ira.

— Ah ? Pourtant il me semble que tu aimes bien la sandwicherie du coin de la rue, non ? Tu y vas chaque semaine depuis des mois. Sans aucun manquement...

Il se trompe : c'est le quatrième samedi que je n'y vais pas, il n'y avait simplement pas prêté attention. Plus que la sandwicherie, c'est celle qui m'y attendait avec mon encas, que j'aime. J'adorais ce petit moment secret durant lequel nous grappillions un peu de temps ensemble après mon marché, puisque tu ne travailles généralement que le soir.

Je pourrais aller jusqu'à ton fast-food pour voir si tu y travailles encore, et si exceptionnellement, tu es en poste à cette heure-ci, mais même si j'en meurs d'envie, ce ne serait pas une bonne idée. Je ne supporterais pas de te voir sans pouvoir te toucher. Depuis des semaines, je ne peux plus te toucher, ni sentir ta chaleur ; je vis un calvaire...

— Je n'ai pas faim.

Il me fixe, suspicieux, mais ne relève pas. Il est vrai que l'excuse n'est pas terrible : j'ai toujours faim. Je cherche à changer de sujet lorsque le tonnerre me sauve.

— Merde ! Faut se bouger.

Je me baisse pour ramasser deux de ses cartons de boites à chaussures mais mon frère ne bouge pas, les bras croisés et les yeux rivés sur moi. Le tonnerre gronde une fois encore, et les jumeaux accourent. Leurs regards oscillent entre notre ainé et moi.

— Ça va ? Un problème ?

— Non, non. C'est juste que notre Pequeño n'a pas faim.

Diego en reste bouche bée tandis que Tonio éclate de rire.

— Oh, merde ! Il est malade ?

— Quelque chose comme ça, rétorque Miguel, le visage insondable.