La vie à deux (Manu Chao)

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AUJOURD'HUI...

Juillet 2013 - Marco

Ça y est, nous y sommes... Ce jour tant redouté est arrivé. Nous connaissions l'existence de cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes depuis le début, pourtant nous avions fini par minimiser sa présence. Quelle connerie ! Comment avons-nous pu être si stupides ? Stupides de croire à cette histoire, stupides de nous y être engagés d'ailleurs. Nous avons voulu essayer tout de même, mais voilà, la réalité nous a rattrapés. Et broyés...

Sans un bruit, je fais quelques pas en direction du lit pour t'embrasser une dernière fois, mais je me ravise. C'est déjà assez dur comme ça. Si tu te réveilles, je n'y survivrai pas. Tout a déjà été dit hier soir, avec des mots, avec des gestes, avec nos corps. Pas besoin de verser davantage de larmes.

Je ramasse mon sac, rempli cette nuit entre deux étreintes à la fois passionnées et désespérées, puis je dépose sur la minuscule table ces clés qui étaient devenues miennes depuis quelques mois. Juste à côté de ma médaille de la vierge surmontée d'un ruban rouge, celle dont je ne suis jamais séparé jusqu'à aujourd'hui et avec laquelle j'ai l'habitude de jouer lorsque je suis nerveux. J'espère sincèrement qu'elle te portera bonheur, mais cette nuit, tu as préféré me promettre de me la rendre un jour. Je ne sais pas vraiment quoi en penser...

J'avance vers la porte d'entrée avec précaution, et lance un dernier coup d'œil plein d'amour dans ta direction. Tu dors encore paisiblement. Comment vas-tu te sentir à ton réveil ? Tu as beau savoir que je ne serai plus là, tu seras dévastée, c'est certain. Exactement comme je le suis à cet instant...

Tout était tellement simple avant toi. Je n'avais même pas besoin de me poser de question, ma vie était toute tracée. Comme celle de mes trois frères et ma sœur. Pas besoin d'avoir de rêve ou d'ambition, puisque je n'avais qu'à suivre les pas de mes aînés. 

Puis tu as déboulé et a tout chamboulé sur ton passage. Pour mon plus grand bonheur, c'est certain. Oui mais voilà, il est temps de revenir sur terre. Dans ce moment de lucidité, je pose mon sac et en sors les livres scolaires. À quoi bon les garder si ce n'est pour me raccrocher encore à des rêves illusoires ? Tu trouveras probablement quelqu'un à qui ce sera utile.

Tiens ? C'est quoi, ça ? Sous mes bouquins se cachent trois petits cahiers. Je m'approche de la lucarne pour tenter de distinguer leur contenu aux premières lueurs de l'aube. Des pages entières couvertes par ton écriture longue et fine. Je ne sais pas ce qu'ils contiennent, ni pourquoi tu me les donnes, mais ce n'est certainement pas une bonne idée de les garder avec moi. Pour autant, je ne peux me résoudre à les laisser là. Je verrai si je me sens le courage de les lire, je ne te promets rien.

Je scrute une dernière fois cette pièce minuscule qui a été notre chez nous un fugace moment. Je veux en retenir chaque recoin chargé de souvenirs, chaque endroit où nous nous sommes aimés. L'ours en peluche gagné de soir de notre rencontre semble me lancer un regard réprobateur. J'inspire profondément le même air que toi une dernière fois, et m'éclipse discrètement.

Une fois au bas de notre... de ton immeuble, je m'appuie contre la grosse porte et m'autorise une minute pour me laisser aller. Pas de bruit, pas de sanglot. Juste une larme unique qui glisse sur ma joue. Les hommes ne pleurent pas, mon père nous l'a assez répété à mes frères et moi.

Si seulement j'avais tenu compte du reste de ses remarques plus tôt, nous n'en serions pas là : pas de gadji. La famille et la communauté avant tout...

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(Gadji/gadjo : personne étrangère à la communauté gitane)

Ne nous ÷ pas (disponible partout en numérique en en Broché sur Amazon)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant