Je me dirige donc vers l'escalier, nerveux et un malaise constant me comprimant la poitrine. Je n'avais jamais vraiment expérimenté le mal du pays, et j'en faisais les frais dans tous les sens du terme. Je descends, le coeur de plus en plus lourd, stressé, et essayant de faire le moins de bruit possible.

Je vois Laurence ainsi que sa fille que je n'ai pas encore eu l'occasion de voir. Je surprends leur discussion, mais je ne comprends vraiment rien. Ce n'est qu'un enchaînement de mots qui ne veulent absolument rien dire, et je ne compte pas les interrompre dans leur conversation.

Heureusement pour moi, me sentant de plus en plus mal à l'aise, la petite fille aux cheveux bouclés châtains tirant presque sur le roux -une couleur que je n'avais jamais vu au naturel de ma vie- tire la manche de sa mère :

- Maman, il est debout.

- Oh, Naozumi, tu es réveillé ! Assis-toi, assis-toi ! Oh pardon, assis-toi, viens manger avec nous. Il est onze heures, Félix dort sûrement encore, il était en soirée hier. Et Christelle est rentrée vers dix-huit heures hier, mais tu t'étais déjà endormi.

Son flot de paroles dès le matin me donne mal à la tête, mais ce qui me tend le plus, c'est le "Naozumi". Elle n'a pas utilisé mon nom de famille, Ito. Ni aucun suffixe qui aurait dû suivre mon prénom. Choqué, je ne montre cependant aucun mécontentement et hoche la tête -n'ayant compris que la moitié de son discours- et me penche en avant à trente degré, le dos droit, en employant ma formule habituelle :

- お早うございます(ohayou gozaimasu*)。

Je ne me rends compte de ma bêtise qu'après, puisque je m'empresse de mettre mes mains sur ma bouche et de répéter, en essayant de ne pas bégayer :

- Pardon... Je voulais vous souhaiter une bonne matinée ainsi qu'une bonne journée...

Honteux, je garde la tête baissée et me baisse jusqu'à quarante-cinq degré, de peur de me faire réprimander ou jugé pour ma maladresse ou mon impolitesse.

- Oh mon dieu, fais-moi le plaisir de te redresser, tu vas avoir des problèmes de dos plus tard. Et puis, arrête d'être aussi formel.

Je ne comprends pas tout, mais je ne décelle ni colère ni autre sentiment négatif, alors je décide, après un moment d'hésitation, de me relever, mais en gardant les yeux légèrement baissés.

- Allez, viens donc t'asseoir avec nous !

Elle me prend par le bras, et ce geste me fait tressailler d'horreur. Mon dieu, mais où ai-je atterri ? Pourquoi elle me touche ?

Mon malaise revient, et dès que je le peux, je m'assois avec les deux autres filles.

- Naozumi, voici ma fille, Christelle. Elle a quatorze ans, donc elle au collège, en quatrième. Je ne sais pas comment ça fonctionne au Japon mais ici tu seras en première. Nous avons pris contact avec tes parents, et nous avons dû choisir une filière avec leur appui.

Je n'ose pas lui dire de parler plus lentement, mais j'ai vraiment dû mal à enregistrer les informations qu'elle me donne. Je hoche la tête pour l'inciter à continuer, sans prendre la parole. Mais elle est stoppée, comme si elle attendait quelque chose. Alors pour lui montrer que j'écoute, je dis doucement :

- Oui ?

Elle me sourit :

- Pardon, j'étais en train de réfléchir à la formulation, c'est compliqué à expliquer. Mais tes parents m'ont dit qu'ils avaient fait quelques recherches sur le fonctionnement des écoles, et ils m'ont demandé de t'inscrire en filière scientifique. Mon fils y est également, en terminal. Il a un an de plus que toi donc.

Question de point de vue (BxB) [en pause]Where stories live. Discover now