Prologue

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Paul s'avançait dans la cour. Il observait les peupliers, plantés ici et là. Il les comptait du bout des lèvres, et une larme coula le long de sa joue. Une goutte d'eau comme celles qui s'abattaient le long de la fenêtre ce jour là. Elles se comptaient par milliers et ne semblaient pas s'arrêter. Elles tombaient bruyamment, telles le bruit des pièces sur le sol, ou encore le martèlement acharné d'une porte ; la porte de son cœur.

Neuf arbres. Il pouvait les compter sur ses doigts. C'est un nombre si petit, et si insignifiant. Et pourtant, neuf ans que sa tristesse n'a pas changé. Neuf ans qu'il s'endort dans un lit trop petit et trop vide pour lui. Neuf ans que finalement, ce lit n'est pas assez grand pour retenir ses larmes. Neuf longues années, depuis qu'elle est partie après un combat acharné.

Paul essuya ses yeux avec le bout de sa manche et entra dans l'école. Il frappa à la première porte à sa droite et une jeune femme souriante lui ouvrit. Elle l'invita à s'asseoir près d'une petite fille, installée devant le bureau. Elle fixait le sol et ne bougeait pas. La directrice s'essaya à son tour.

"- Monsieur Darson, j'espère ne pas déranger votre emploi du temps chargé. Je vous ai convoqué ici pour vous parler du travail de Lime. Je ne vais pas y aller par quatre chemins voyez-vous, car ses devoirs à faire à la maison ne sont..."

La principale concernée faisait tout pour se faire oublier. Paul, lui,acquiesçait sans rien dire. Son visage ne laissait transparaître aucune émotion. Cet entretien était une perte de temps, pour lui comme pour elles.

Il était six heures dix. Le père et sa fille rentraient chez eux, main dans la main. Leurs ombrent dansaient sur le bitume.

La manche du pull bien trop grand de la petite tomba, laissant apparaître un bras meurtrit, couvert de bleus. Les nuances indigo se mélangeaient, créant ainsi une seconde peau. Et, petit à petit, au fil des semaines, sans que personne ne s'en rende compte, cette seconde peau déteignait sur la première ; cette première peau rosée, douce,juvénile et innocente, devenait grise, insensible à la douleur, insensible à l'affection. Morte.

"- Elle est loin maintenant, lâche-moi."

Et Lime, neuf ans, lâcha.



Des bleus couleur citron vertWhere stories live. Discover now