III. Concertation

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— Ton immeuble est maudit, ajouta Celian en imitant son frère.

Elinor leva les yeux au ciel et partit chercher le plateau où elle avait disposé les cafés encore fumants. Elle servit ses invités et s'assit en face d'eux sur un pouf rose que son père lui avait acheté quand elle avait treize ans et dont elle ne s'était jamais séparée. Encore quelque chose qu'elle avait eu du mal à jeter.

— Alors, comme ça tu as besoin de tes conseillers attitrés ? lança Paul.

— Ça me fait mal de l'admettre mais, oui, j'ai besoin de vos avis sur un sujet important qui n'est autre que mon avenir.

— Nous sommes tout ouïe, alors.

Légèrement voûtés, les coudes sur les genoux, le même air concentré dessiné sur leurs visages, la ressemblance physique des deux frères n'était pas à prouver, même pour les moins observateurs. Le contour de leurs mâchoires et la forme de leurs yeux étaient ce qui trahissait le lien de familiarité.

— J'ai peur que ce soit une grosse bêtise.

— Vas-y, Nor.

— Ok, soupira-t-elle. Je veux arrêter le droit, annonça-t-elle, les paupières closes et si serrés que des sillons s'y étaient formés.

— Attends, répète ? Toi, Elinor Perfection Gardner, tu veux arrêter tes brillantes études prometteuses ? dit Celian en se redressant, ébahi.

— Je comprends que tu aies besoin de nos avis dans ce cas, dit Paul en donnant un coup de coude dans les côtes de son voisin.

— Je suis terrifiée, vraiment, vous devez me dire si vous trouvez ça foireux.

— Avant tout, tu y as bien réfléchi ?

— Je crois que oui, ça me travaille depuis des mois.

— Alors, tu devrais faire ce qui te plaît Nor, si le droit ne t'intéresse plus, je ne pense pas que te forcer à continuer soit la meilleure solution, si c'est pour que tu sois malheureuse dans ta vie, ça ne sert à rien. Après, soyons honnêtes, c'est risqué mais je suppose que tu as une idée de ce que tu veux faire à la place ?

— Ne me dis pas que tu veux ouvrir un bar à chat sinon je m'en vais de ce pas, ajouta Celian.

— Non Celian, ce n'est pas mon projet. En fait, j'aimerais me rapprocher du monde de la littérature mais je ne sais pas encore vraiment ce que je veux y faire, je sais juste que c'est un domaine qui me passionne, dit Elinor en désignant sa bibliothèque pleine à craquer. C'est utopique, hein ?

— Moi tout ce qui peut emmerder un peu les parents, je suis pour.

Paul leva aussitôt les yeux au ciel.

— Celian, grandis un peu, t'as bientôt vingt-sept ans et tu réagis encore comme un pré-ado pseudo rebelle.

— Excuse-moi fayot en chef, j'avais oublié qu'on ne devait pas avoir un mot plus haut que l'autre sur les parents en ta présence.

Elinor plongea un sucre dans son café et but une gorgée, la machine était lancée.

— Arrête de la ramener, t'as toujours les mêmes arguments. Trouve toi un vrai boulot, construis-toi une vie stable et ensuite on pourra peut-être parler d'adulte à adulte, rétorqua Paul.

L'atmosphère s'était électrifiée en une fraction de seconde. Celian éclata d'un rire sonore qui fit sursauter Elinor, comme si Paul venait de dire la chose la plus drôle qu'il n'ait jamais entendu. Celian toisa son frère avant de se lever, ne supportant visiblement plus d'être à ses côtés. Il s'approcha de la baie vitrée, leur tournant le dos à tous les deux. Elinor sentit alors sa gorge se nouer, elle ignorait pourquoi mais elle n'arrivait pas à parler. Pourtant l'envie de leur mettre une grande claque la démangeait, ils se montraient d'un égoïsme sans pareille. C'était loin d'être la première fois qu'ils se prenaient la tête mais ça n'en restait pas moins pénible à supporter, d'autant plus quand le sujet de la discorde était aussi futile. 

La liste d'infortunes d'Elinor GardnerWhere stories live. Discover now