Toutes les choses qu'on ne s'est jamais dites.

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        Certains combats ne valent pas la peine d'être menés. Certains combats sont trop violents, vous y laissez des plumes, vous changez. Certains combats sont bien trop futiles et bousillent égoïstement le sens de la vie. Dans les films, les comédies romantiques, les bouquins pour filles, il est dit qu'écouter son cœur est la meilleure chose à faire. Bien évidemment, ils ont une réponse à toutes les questions, et une solution à chaque problème, car tout est réglé comme du papier à musique, que rien n'est impossible et qu'un Happy End donne mieux qu'une fin tragique qui déprime. Je n'étais même pas sûr d'avoir jamais compris le message caché dans ces films là -ceux qui comprennent des personnages qu'on aime bien parce qu'ils sont complètement bizarres mais sortent des répliques nulles- même après une centaine de visionnage. Ils vous sortent des conneries poétiques pour prétendre que tout ira pour le mieux, et tout ça, sur fond d'un couple qui s'embrasse et qui se dit je t'aime toutes les six secondes histoire qu'on ne l'oublie pas en cours de route. Ça fait pleurer les filles, parce que c'est beau, et la plupart du temps, les mecs se disent que ça pourrait bien leur arriver en fin de compte, mais ils sont bien trop orgueilleux pour l'accepter, alors ils préfèrent vous lancer "c'est de la merde" avant d'appuyer sur le bouton rouge de la télécommande. Mais il y a une question à laquelle ils ne répondront jamais. Comment suivre son cœur si celui-ci est brisé, piétiné et écrabouillé sans ménagement par les épreuves de la vie, les trahisons et les cons comme moi? Comment faire pour s'en sortir indemne si on ne vit pas dans une comédie romantique-dramatique? Si nous vivons dans la vraie vie et que rien n'est réglé, que nous en sommes les scénaristes et que nous n'avons aucune imagination? Comment faire lorsque nos questions n'ont tout simplement pas de réponses? Elles restent irrésolues, parce que dans la vie, c'est comme ça. 

Mais heureusement pour moi, j'en faisais partie, même si le Happy End n'était pas certifié et que les questions ne seraient sûrement pas toutes résolues.

—​Nathan?

Le nez en sang, mais néanmoins bien moins amoché que ne l'était Dean, j'étais allongé à ses côtés dans la pelouse. Frère contre frère, face aux étoiles que nous avions si souvent observés en haut de la cabane en bois, notre forteresse, située à l'arrière de son jardin. Actuellement, je priais pour que nos conversations se limitent à nos souffles saccadés qui témoignaient d'une baston acharnée qui avait pourtant duré moins de dix minutes. Ma bouche était sellée, mes lèvres comme liées par du béton armé et mon silence restait inviolable. Il n'attendit pas ma réponse pour autant:

—​Je sais que t'es en colère, déclara-t-il de façon aussi calme que froide. 

Oui je l'étais. J'étais en colère contre lui, contre moi-même, contre Jenny et contre l'univers entier. Pourtant, j'étais incapable de le dire.

—​Je sais aussi que tu ne voulais pas vraiment te battre. Parce que sinon, tu m'aurais fais pire que ça. 

Là encore, Dean Hower ne laissait échapper de sa bouche, que la pure, triste et désolante vérité. Si je l'avais voulu, il aurait perdu sa parole et sa motricité. J'aurais pu le faire, mais je ne le voulais pas. Ce soir, je restais sur ma faim. Parce que mes questions à moi, n'étaient pas résolues, loin de là. J'étais incertain, perdu et je venais de réaliser que dans un certain sens, je l'avais toujours été.

—​En revanche, je sais pas ce que tu penses. Je sais pas non plus à quel point tu peux l'aimer. Je sais pas comment c'était. 

Il s'arrêta un court instant, puis reprit:

—​Mais ce que je sais le mieux, c'est que toi et moi on est pareils. 

Nous étions identiques. J'y avais longuement pensé après notre dernier coup de poing. Ma théorie était plus complexe encore que l'arbre généalogique de Game Of Thrones, mais elle se vérifiait en tout point. 
Je le détestais pour m'avoir trahi le premier. J'avais osé trahir Dean, et penser que JE l'avais fais le premier rendait cette trahison plus facile à accepter pour moi-même, car je ne pouvais pas le blâmer. Savoir qu'il avait finalement planté le couteau qui me lacérait chaque jour un peu plus le dos le premier avait anéanti le respect que je lui avais toujours porté et ma colère était née. Lui, il me détestait pour l'avoir trahi aussi. Peut-être qu'il avait pensé être le seul à jamais oser franchir le pas. Nous avions les pieds pris dans un engrenage, condamnés à exploser et à nous déchirer. A nous deux, nous étions un adolescent rebelle, sans principe, sans loi et sans état d’âme, toujours prêt à flirter avec les limites. Cet adolescent aimait la dérision, le chaos et les trahisons. Nous étions ce mec, tous les deux. 

​—​Je crois que toi et moi on est tellement fusionnels qu'on ne s'est plus vraiment rappelé ce que c'était d'être deux personnes différentes, expliqua-t-il, comme s'il venait de lire dans mes pensées. A force de traîner ensemble, on a du se confondre. Toi et moi on voulait toujours le même parfum de glace, on écoutait la même musique, on parlait et riait des mêmes blagues. Alors quand je me suis aperçu que tu la voulais, mon cœur t'as suivis, c'était normal d'avoir envie d'avoir la même fille. J'crois qu'il s'est passé la même chose pour toi, parce que je suis pratiquement sûr que t'aurais jamais franchi le pas si je n'étais pas passé par là.

Un rire nerveux m'échappa, même si aucun mot ne sortait de ma bouche.

—​Je sais. C'est con hein? Je suis même pas sûr de savoir ce que je dis moi-même et pourtant, je suis persuadé que c'est une explication solide. En même temps... Vas-savoir, je suis bourré.

Effectivement, il était bourré et je l'étais aussi, peut-être que dans un sens, cela nous rendait plus philosophes, plus sensé. 

—​Je suis pas désolé de ce que j'ai fais, termina enfin Dean. Et tu n'as pas non plus à l'être.

Il se releva s'interposa entre mon regard perdu et le ciel étoilé. Ses cheveux blonds collaient à son front trempé de sueur, sa lèvre était enflée, un filet de sang s'écoulait de son nez jusqu'à son menton tandis qu'une petite marre rouge se formait sur son tee-shirt. Il me tendit sa main, ses jointures étaient rouges à cause des coups qu'il avait donné. Après mûre réflexion, je la saisissais et me remettais sur mes deux pieds. Même si je n'avais pas répondu, il savait ce que j'en pensais.

—​Je veux qu'on fasse la paix. Parce que tu es mon frère, Nate, et que tu le seras toujours.

Ouais, ouais, ouais. Bon, trêve de plaisanterie.

—​Arrête ça, tu vas faire pleurer les chaumières avec tes conneries, déclarais-je enfin, à son grand soulagement. 

Dean me sourit. 

—​Ouais, t'as raison, c'est trop gnangnan. Peut-être qu'on devrait se rebattre...plaisanta-t-il.

Mon poing s'écrasa presque automatiquement sur sa figure. Il se tint la mâchoire, un peu surpris et cracha calmement le sang qui lui emplissait la bouche.

—​Putain, je pensais pas que t'allais le faire!

—​Ouais, bah y a plein de trucs auxquels tu penses jamais.

Comme par exemple à respecter le code des amis et à la loyauté. Je lui souris, ramassais mon paquet de Lucky Strike tout écrasé ainsi que la bouteille de vodka vide et repartais vers ma porte d'entrée.

—​Hey... Ta proposition tient toujours? Parce que... Je me vois mal rentrer chez moi dans cet état, m'avoua-t-il.

Je me retournais.

—​Nan les termes ont changés. Tu dormiras sur le tapis.

Il pouffa de rire et épousseta sa veste avant de me suivre. Juste avant de passer la porte, je remarquais que les rideaux de la chambre de ma sœur était anormalement tirés, Berenice avait tout vu, tout entendu. Alors que j'allais monter les escaliers dans le noir le plus complet, conscient d'être suivis par un traître qui me ressemblait trop pour que je ne le dénigre, Dean m'agrippa le bras et me força à me retourner.

—​Avant de me laisser monter, il faut que tu saches que les événements de ce soir ne changent rien et que je ne regrette pas. Ce que je t'ai dis l'autre jour est vrai. Je vais me battre pour Jenny, peu importe ce que je dois faire. Elle est la meilleure chose qui me sois arrivée après toi. Je ne peux pas te la laisser.
Ça n'avait rien de surprenant.

—​Heureux de l'apprendre, moi non plus, répondis-je en montant les marches, avec le cœur lourd et une sensation que ce ne serait plus jamais pareil.

Love comes from HateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant