Rêve 11 - Je (ne) suis (pas) un héros

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Dans nos civilisations déchirées entre un fonctionnement collectif et une exaltation de l'individu, entre un impératif culturel de productivité économique et une injonction au bien-être, entre système de la fuite en avant et souci de l'avenir, entre la concurrece acharnée entre les être et la solidarité et la justice, il y a de la place pour l'indignation et la révolte, le militantisme et le désir de révolution. Aussi les rêves et créations d'apocalypse ou de sauveur sont-ils récurrents et légitimes tant ils permettent l'expression de cette angoisse née de cette vaine tentative de concilier l'inconciliable et de résoudre une posture intenable pour chacun de nous : la résignation ou la révolte. Par confort et paresse, facilité et lâcheté, nous choisissons presque tous l'aveuglement, qui permet de vivre au quotidien loin des scrupules d'une conscience salie par les compromissions. Mais notre inconscient ne nous laisse jamais oublier nos devoirs et responsabilités...

J'ai un rêve à élucider que j'ai fait il y a maintenant un petit moment (peut-être deux semaines). Je me dis que ça pourrait être intéressant d'en lire une interprétation (je fais toujours des rêves étranges mais je crois que celui-ci se prête vraiment bien à l'exercice). Attention : c’est un vrai roman donc je comprendrai si certaines parties sont juste coupées si elles sont moins intéressantes pour l’interprétation parce que, là, je me souviens de chaque détail !
==> La résistance à l'oubli de ton rêve suggère son importance et sa richesse, bien que beaucoup puisse relever d'un rebrassage de fictions fréquentées au préalable, implique nécessairement des éléments signifiants. On va voir ce qu'on peut faire de tout ça !

Je suis sur une plage paradisiaque (mer calme à perte de vue, temps d'été) avec deux amis. Je ne me souviens pas de leurs visages ; je crois qu’il y avait une fille et un garçon.
==> Le décor est ici fantasmatique, l'île tropicale incarnant en occident l'idéal exotique pour fuir le réel sordide. Il s'agit de te projeter dans un décor idéal, inaccessible, un lieu de l'impossible... où tout devient possible, comme en témoignent les manettes de jeu vidéo évoquées juste après pour signifier le fait qu'on ne peut être dans la réalité. Cela suppose donc que tu es protégé des effets de ce qui va se passer : tout doit demeurer dans le rêve. Ici, l'identité des deux amis qui t'accompagnent est sans intérêt : c'est donc de toi qu'il s'agit ici, de ta mise à l'épreuve.

Nous déposons nos sacs à dos et nos manettes de jeu (qui se rapprochent de manettes Wii) sur le sable pour aller nous baigner. Nous sommes donc dans un simulateur, une réalité virtuelle qui a créé un paysage idyllique, avec une mer toujours belle et sans danger (pas de méduse, de sachet plastique qui flotte, etc.). Nous nous amusons pendant un moment, on chahute un peu (l’un des deux me fait faire un tour complet sur moi-même dans l’eau, j’essaie de vite retrouver la surface pour pouvoir respirer ; je précise que c’est un jeu auquel j’ai droit dans la réalité : j’ai à chaque fois du mal à retrouver mon souffle). Nous continuons à nager et je vois un poisson marronâtre avancer près de la surface, qui passe juste entre mes amis et moi. Je me dis que ce n’est pas normal ; l’un des deux m’explique que c’est pour un souci de réalisme. Je me fais alors la réflexion qu’il peut finalement y avoir des requins, des méduses, « dans un souci de réalisme ». Ça me fait comme un déclic : « Si ça se trouve, on est dans un jeu d’horreur », je me dis, et cette plage paradisiaque serait un leurre. Je sors vite de l’eau, avec méfiance, suivi de mes deux compagnons. Et là, surprise : toutes nos affaires ont disparu.
==> Ici, tu racontes très bien le basculement de l'introduction ludique d'un rêve de classement (ton cerveau trie les informations sous forme d'un scénario plus ou moins narratif afin de les ranger) vers un rêve analytique où l'inconscience va commencer à ronger tes névroses pour avancer. La sensation d'étouffement, symbole d'une réalité implacable qui te dépasse, qui s'impose à toi, a beau relever du jeu, elle n'en est pas moins désagréable et angoissante, et est due à autrui que toi. Or, cela advient quand tu cèdes le contrôle, ici en abandonnant la manette. Ton cerveau t'envoie une de ses premières leçons de vie : quand tu lâches prise pour jouir du présent, ce sont les autres qui prennent l'initiative et tu deviens le jouet de leur volonté, pour le meilleur (le jeu) et pour le pire (l'étouffement). Cela dénote un rapport ambivalent chez toi avec autrui. S'ensuit de cette prise de conscience par la sensation d'urgence l'irruption de la réalité et de ses conséquences via l'arrivée du poisson laid qui contraste avec le paysage exotique. Il symbolise les accidents de la vie qui, d'anodins (un poisson sans intérêt qui ne semble pas nocif), ouvrent la voie à l'inquiétude (ton questionnement sur la possibilité d'autres survenues plus graves) et, finalement, aux événements dangereux ou douloureux (perte des affaires, dont le sac incarnant les outils nécessaires pour faire face à l'imprévu et les manettes, donc incapacité de reprendre la main pour se sortir de l'expérience : tu devras la conduire à son terme, pris au piège de la chaîne d'événements). Ici, c'est à la fois l'inéluctabilité tragique des conséquences de nos choix et des accidents de la vie qui est mise en avant, et donc l'impuissance de ton être dès lors que tu baisses la garde.

Le fil d'ArianeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant