2. ... avant la tempête

10 3 0
                                    

Durant les jours qui suivent, je demeure incapable de me concentrer sur mon travail ou n'importe quoi d'autre. La nuit, je n'en dors pas. J'en arrive à espérer que ce jour faste arrive au plus vite que je puisse tourner la page. Sauf que j'ignore comment m'y prendre pour y parvenir. Aucune nouvelle de Lucas depuis cette dernière nuit. De toutes évidences mon pressentiment était justifié.

Abruti devant un épisode de l'arme fatale que je ne regarde que distraitement, je sursaute lorsque j'entends tambouriner à la porte. Étrange, je n'attends pas de visite ce soir. Un instant, j'hésite à me lever pour aller voir. Les coups redoublent d'intensité. Visiblement, mon visiteur n'appartient pas à la catégorie des personnes patientes.

Sans entrain, je cède.

— Enfin, tu es devenu sourd ou quoi ?

Mon cœur manque un battement. Devant moi se tient Lucas dans toute sa splendeur, les yeux brillant de colère.

— Tu comptes rester planté là à me fixer ou tu me laisses entrer, s'énerve-t-il.

Je me décale pour lui libérer le passage. Quand il se trouve dans cet état, la moindre contrariété supplémentaire le fait vite perdre patience. Par contre, c'est aussi dans ces cas que nous avons nos meilleures parties de jambes en l'air. Comme si l'énervement le désinhibait, l'empêchait de songer à tout ce que l'acte en lui-même implique. Rien qu'à cette idée, je sens mon pénis se durcir.

— Je te sers quelque chose ?

— A ton avis ?

Je me dirige vers le meuble bas dans lequel je range mes alcools et en sors un verre dans lequel je verse un fond de whisky. Il le boit cul sec avant de me le tendre pour que je le remplisse à nouveau. Voilà qui n'augure rien de bon. Constatant que, cette fois, il prend son temps pour ingurgiter le nectar, je referme le meuble et m'installe dans un fauteuil en face de lui.

Durant quelques secondes, il me regarde, ses yeux ancrés dans les miens. Impossible de deviner ses pensées. Comme toujours, elles me sont hors d'atteinte.

— Qu'est-ce que tu veux ?

Sa question me prend aux dépourvues. D'aussi loin que je m'en souvienne, jamais il ne s'en est préoccupé. Notre relation a toujours été basée sur ses attentes à lui, et uniquement les siennes. A vrai dire, il y a bien longtemps que j'ai arrêté de vouloir quoi que ce soit d'autre que les miettes qu'il accepte de me donner de temps à autre.

— Que veux-tu dire ? Je l'interroge, prudent.

— Je te parle de ça, crache-t-il en agitant un papier sous mon nez.

Il me faut un instant pour reconnaitre le carton réponse. Toutefois, je ne saisis pas l'objet de sa colère. Pourquoi m'envoyer une invitation s'il ne souhaite as que je vienne. Perplexe, je reste muet. Grossière erreur, son énervement s'amplifie.

— Bon sang ! Tu le fais exprès ma parole ! Écoute-moi bien : tu n'assisteras pas à ce mariage.

— Pourquoi m'envoyer une invitation dans ce cas, j'ose lui répliquer, piqué au vif par son ton catégorique presque menaçant.

Il éclate de rire. Mais celui-ci sonne faux. J'ai le sentiment d'avoir loupé un épisode.

— Comment as-tu pu croire une seule seconde que ceci venait de moi ? Depuis le temps que nous nous connaissons, tu aurais dû savoir immédiatement que ça ne pouvait pas venir de moi.

Il a tout à fait raison. J'ignore pourquoi, ça ne m'a pas sauté aux yeux. D'un autre côté, je ne vois pas de qui d'autre cette invitation aurait pu venir.

Devant mon hébétude, il rajoute :

— Laisse-moi deviner : tu n'as pas lu le deuxième nom sur le carton ?

Je dois reconnaitre que ça ne m'est même pas venu à l'esprit. Quelle importance la personne qu'il épouse. Ce qui compte, c'est qu'il se marie. Du moins, jusqu'à sa visite, je le pensais.

Il agite de nouveau ce foutu bout de carton. Je l'attrape et lis, effaré, le nom inscrit. Un deuxième couteau en plein cœur vient de m'être planté. Impossible. Comment ? Quand ? Tant de questions me traversent la tête. Pour la deuxième fois ce mois-ci mon univers s'écroule. Je n'ai pas fait le rapprochement quand Tracy m'a parlé de son nouveau petit ami et encore moins lorsqu'elle m'a annoncé ses fiançailles. Il me manque tellement de pièces du puzzle. Est-ce un hasard s'il a choisi la seule de mes collègues avec laquelle je m'entends bien ? essaie-t-il de me faire passer un message ? Si oui, lequel ?

— Je vois que tu réalises enfin la merde dans laquelle tu m'as mis en répondant à cette invitation. Heureusement pour toi, j'ai réussi à l'intercepter avant qu'elle ne la voie et j'ai pu ainsi faire le changement avec un nouveau carton négatif, cette fois. Il ne te reste plus qu'à trouver un prétexte crédible quand elle te demandera la raison de ton absence. Ne me refais plus jamais un coup pareil. Est-ce que c'est compris ?

— Oui, je réponds d'une toute petite voix, encore sous le choc.

— Bordel, Trevor, tu n'as plus quinze ans. Il est temps que tu grandisses et te comportes en adulte à présent.

J'hallucine, il se permet de me faire la morale alors que c'est lui qui nous met une fois de plus dans une situation impossible. Je me lève d'un bond, espérant lui faire comprendre qu'il est temps de partir. Les poings serrés, je lui fais face sans faillir. Ce soir, je n'éprouve qu'une envie, qu'il parte et vite.

J'ignore s'il s'en rend compte, mais à ma grande surprise il me saisit par le bassin et me plaque contre lui.

— Qu'est-ce que je vais faire de toi ? chuchote-t-il dans mon oreille plus pour lui que pour moi.

Je ne réponds pas. Au contraire, j'essaie de lui résister. Je me fige tandis qu'il ne fait pas mine de le remarquer. Il commence à m'embrasser. Sa langue parcoure mon cou, remonte vers mon lobe qu'il prend tire avec le bout de ses dents. Une vaque de frissons me traverse le corps. Résister plus longtemps est difficile. Ne pas le satisfaire, impossible. Alors comme toujours, je lui cède et m'offre corps et âme à lui. Un jour, il faudra que j'apprenne à lui résister. Un jour...


Aime-moi (en pause)Where stories live. Discover now