La première cuvée

Depuis le début
                                    

— On est breton ! Bien sûr qu'on a de la bière ! »

La fierté d'Alan submergea toute autre chose. Une joie sauvage s'afficha sur son visage. Il se leva en invitant Amalia à le suivre. Malo, amusé⋅e, leur emboîta le pas, attendri⋅e par l'emportement tout à fait inapproprié de son frère.

À peine dehors, un jeune père, son bébé agité dans les bras, les apostropha :

« Ça va mieux madame ? Qu'est-ce qui amène une sorcière par ici ? »

Amalia n'eut ni le temps de répondre ni celui de s'attarder sur le bambin de trois mois. Alan précisa, sans s'arrêter :

« Amalia va essayer de nous aider, mais avant ça, je lui fais goûter notre bière. Elle est bretonne ! »

Cette explication simple lui suffit, tout comme aux autres villageois qu'ils croisèrent.

Tous les trois traversèrent le bourg. La sorcière, entraînée malgré elle dans un bain de foule, trouva chez les humains un écho puissant à l'espoir de leur meneur. Son entrain se transmettait vite et leur donnait le sourire. Alan était aimé par les siens. Ils avaient une confiance aveugle et touchante en lui.

Là où Amalia imaginait découvir de vieilles bières importées illégalement stockées au fond d'un puits, elle vit un petit bâtiment semblable aux autres. Il abritait plusieurs cuves qui saturaient l'atmosphère chargée d'une odeur de houblon tiédasse. Une collection de gobelets, bock et tasses, tous aussi hétéroclites qu'éloignés de l'idée qu'elle se faisait d'une choppe propre, s'alignaient au-dessus d'un fût prêt à l'emploi. Alan les servit. Amalia eut le droit à un verre à vin rempli à ras bord de bière, Malo à un mug. Il tira également un broc pour les prochaines tournées.

« C'est notre toute première cuvée ! s'enthousiasma-t-il en reprenant le chemin de sa maison. On est parti avec le grain, quand on a quitté la Bretagne. On savait qu'on allait en baver. Autant embarquer de quoi faire la fête ! »

De retour dans le logement d'Alan, l'homme réarrangea des coussins et alla chercher un plateau, ainsi qu'un petit pot de graines de tournesol qu'il posa à même le sol.

« Trinquons ! décida-t-il en s'asseyant.

— Trinquons ! », répondirent Malo et Amalia.

Les verres tintèrent et laissèrent place à un silence qu'Alan aurait sans doute aimé voir agrémenter de commentaires positifs sur sa première bière arabe. Elle s'avéra un peu trop claire, manquait de goût, ne pouvait rivaliser avec la fraîcheur de celles servies dans les bars de Dubaï. Du sable flottait parmi les bulles. L'homme montrait tant d'enthousiasme qu'Amalia n'eut pas le courage de leur proposer de les refroidir de sa magie. Elle se contenta d'appliquer un discret sortilège à son propre breuvage et de saluer la création d'un poli :

« Cuvée numéro un d'une grande série, je l'espère ! »

Alan, ramené à ses obligations par l'évocation d'un possible futur, afficha soudain un air très sérieux, à l'opposé de l'humeur affable provoquée par la dégustation du breuvage local. Amalia le sentit hésiter, puis il prit la parole :

« Je n'aurais pas dû demander à Malo de te draguer. Ce n'était pas correct, ni envers Malo ni envers toi. »

La sorcière le fixa une seconde et salua son effort pour reconnaître ses torts d'un haussement d'épaules amical.

« Si je voulais être tout à fait honnête, tempéra Malo, je préciserais que si c'est bien à cause de lui... »

Iel désigna Alan avec son pouce.

« ... que je me suis rapproché⋅e de toi, c'est uniquement parce que j'avais envie de t'embrasser que je te l'ai proposé. »

Amalia but une gorgée de bière avant de répondre :

« Et même si je t'aime bien, ma réponse reste la même Malo : plus de sept ans d'écart, c'est mort. »

Malo grimaça une mimique déçue fort peu naturelle qui les fit rire tous les trois.

La sorcière posa à nouveau son regard sur Alan. Il rongeait son frein. En temps normal, elle serait restée sur ses gardes face à lui, mais elle prenait à chaque seconde la mesure de sa sincérité : il se montrait excessivement expressif. Ses émotions, loin de le trahir, parlaient pour lui avec une honnêteté désarmante.

Il pencha légèrement la tête sur le côté, comme pour tenter de deviner ce à quoi elle pensait.

« Concernant notre homme... Akio Liu, c'est bien ça ? » commença la sorcière.

Un hochement de tête de Malo lui confirma le nom

« Lorsque je disais vouloir utiliser un nom de l'aristocratie fédérale... Je ne compte pas usurper l'identité de qui que ce soit. »

 »

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La Sorcière d'AonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant