Eclosion

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Oh, certes, je les avais entendus – qui dans le Cosmos n'eut pas perçu ce sourd grondement qui précède l'envol ? Cette répercussion en vagues concentriques, qui se répand dans l'air stagnant, ne pouvait être ignorée de quiconque. Je crus, dans mon long repos, que comme les précédentes fois, ils ne feraient que passer, qu'ils n'iraient pas jusqu'à ma retraite. Il faut croire que je me suis trompé.

Je sentis bien l'onde se propager de plus en plus vers moi, mais la lourdeur qui me tenait était telle, que je ne bougeais pas – et je sais maintenant que la raison en était tout autre : ce long, si long sommeil qui m'avait pris, avait fait de moi une ombre tout d'abord, puis un amas de poussière. Et, ainsi que je l'ai appris, c'est cette ombre de moi-même – l'ombre de ma tête, de mon cou, de ma crinière – qui les attira vers moi, et ma poussière brillante, qui les incita à s'emparer de moi...

Leurs pinces et leurs robots me prélevèrent et m'emportèrent loin de ma nébuleuse – mais ils oublièrent un peu de moi là-bas, je le ressens dans chaque fibre de mon être.... – jusqu'à cette Terre que j'avais fui.

Là, à coup de mesures et d'éprouvettes, de microscopes et de faisceau de particules, ils m'analysèrent, me décortiquèrent, et enfin reconstituèrent mon ADN. Le lent et patient travail que ce fut, et pour moi, la lente et insupportable attente à endurer ! Car, être ou poussière, je ne supporte pas l'enfermement... et confiné dans leurs tubes à essai, dans leurs boites ou entre deux lamelles, je vécus d'atroces moments. Et pour mon malheur, cela dura longtemps...

J'en vis passer, de ces visages pâles, sombres, jeunes ou vieux. Je fus observé par des centaines d'yeux différents, certains attentifs, d'autres scrutateurs ; retourné par autant de mains particulières : longues, boudinées, fines, ridées... certaines plus douces que d'autres... ; et analysé par plus de cerveaux encore !, avant qu'enfin ces descendants de Pyrrha et de Deucalion, cette race si chère à Prométhée, ne réussissent à me comprendre.

De là, ce fut rapide – enfin, il me semble, car je m'étais assoupi de lassitude et d'épuisement à lutter contre cette réclusion où l'on me maintenait. L'on recolla les morceaux, l'on combla les brèches, l'on me préleva de nouveau – le peu qu'il restait de moi après tant d'essais infructueux – avant de m'introduire dans une cellule-souche où je dus patienter, à mon désespoir, un temps...

Puis vint l'éclosion – ah mais quelle joie, quel bonheur d'enfin être libéré, d'enfin ne plus être enfermé !

Mon corps, trop jeune, chétif, me trahissait pour encore un instant, mais au moins ma situation s'améliorait : j'avais un corps. Je bougeais. Je voyais. J'entendais. Et, plus important encore : je réfléchissais.

Je les laissais me palper, m'étirer, me mesurer et me peser. Et durant toutes leurs observations, moi, je regardais, j'étudiais – j'apprenais. Je reconstituais peu à peu le processus qui avait été employé pour me ramener à la vie. Mes ailes certes n'étaient pas encore développées, et je devinais que cela les chagrinait : tant d'efforts, tant d'argent, de temps investis autour de cette poussière d'étoile, pour ce résultat ? un simple cheval ? Personne ne voulait croire que l'aboutissement se limitait à cela : un jeune poulain à la robe immaculée, tirant sur le gris perlé et le bleu cendré à l'extrême de la crinière et de la queue, et sur les poils débordant sur les sabots. Un beau poulain, inhabituel certes, et né d'un œuf qui plus est... mais était-ce vraiment tout ?

Non, bien sûr que non, mais l'attente ne faisait pas partie des qualités humaines. Et je ne comptais pas m'attarder pour qu'ils découvrent qui j'étais réellement. Dès que je fus suffisamment solide – dès que j'en sus assez – je m'échappais.

Mon désir de liberté n'avait fait que grandir, et m'emplissait tout entier. J'avais observé, regardé, appris et réfléchi : tout était prêt. Je profitais d'un transfert de mon enclos vers la salle de soins pour me détacher de ce licol qu'ils m'avaient posé. Et pour m'élancer.

* * *

L'ardente chevauchée. Mes sabots frappant le sol, le brisant et le projetant derrière moi. Mes muscles se tendant et m'emportant toujours plus loin. Le vent glissant sur mon pelage, emmêlant ma crinière. Ma queue pour fouetter l'air, et faire panache dans mon sillage. Je poussais un hennissement de joie et d'exubérance, et repris de plus belle ma course. C'est un bonheur indicible que de courir à perdre haleine, sans imites, sans entraves.

Les hommes, je les laissais loin derrière, dans leurs enclos et leurs salles et leurs machines : je n'aspirais qu'à ma liberté. Je courus comme jamais alors, et ce corps neuf, empli d'énergie, je le mis à l'épreuve : quelle résistance avais-je dans mes jambes ? Quelle vitesse pouvais-je atteindre ? Quelle force possédais-je au bout de mes sabots ? Quels bonds étais-je capable d'effectuer ?

Je galopais ainsi la journée durant, ne laissant derrière moi qu'une volute de poussière. Je fuyais l'homme et ses manipulations. Je fuyais la Terre, trop lourde sous mes sabots. Je m'échappais droit devant moi, sans réelle destination précise, si ce n'est m'éloigner le plus possible d'où je venais.

La nuit enfin s'annonça, et sous le regard de ces étoiles que j'ai si longtemps côtoyées, je ralentis ma course, apaisant mon pas et cherchant à brouter. L'herbe de maintenant a perdu la saveur de celle de jadis, et les paysages n'ont plus les mêmes reliefs. Peu m'importait : j'étais libre. Libre. Et dès que mes ailes auraient poussé, je repartirais d'où l'on m'avait arraché. Dans l'attente, cependant...

Le matin venu, je m'élançais vivement, cherchant les contrées les plus reculées où aucun de ces hommes ne pouvait me trouver. J'errais, de jour, de nuit, à la vitesse remarquable de mes sabots, patientant que mon corps achève de lui-même sa croissance. Là je traversais d'immenses dunes de sable. Puis je fuyais entre les troncs millénaires d'arbres gigantesques. Je disparus au détour d'un long défilé rocheux. La Terre était mienne tout comme j'avais été à elle, il y a si longtemps de cela... que je peine à m'en souvenir.

Essayons...

Cheval d'étoilesWhere stories live. Discover now