Unique

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Ma première naissance, l'originelle, la véritable, je m'en rappelle assez bien. Comme tous mes semblables, je suis né de la plaie d'une Géante, ou, plus exactement, ma mère déposa mon œuf au tréfonds de la terre, et il fallut que le sang de cette race à présent disparue elle aussi, et à laquelle nous étions liés, abreuve le sol qui me gardait pour que la terre me relâche. J'avais bien essayé maintes ruses pour sortir de là, nulle n'avait fonctionné. La Terre était bien trop forte et resserrée pour moi. J'étais donc contraint à l'attente, enclos dans ce giron sombre et profond, un peu inquiétant, quand il y eut cette sensation étrange : j'étais porté vers le haut... vers quelque chose qui imbibait le sol qui me retenait, et m'appelait en même temps – le sang de l'antique race. Ce changement d'état me servit : je me creusais une issue et m'élançais au dehors ! Un peu comme ma re-naissance ici !

La Terre, il fallait s'y attendre, fut contrariée de mon échappée : elle chercha à me reprendre – elle cherche toujours à me reprendre... aussi, comme je l'ai fait il y a encore si peu de temps, je m'élançais pour me soustraire à son emprise ; l'arpentant comme on arpente un enclos : à la recherche d'une échappatoire. Je courus, courus et galopais, la frappant de mes sabots, la frôlant si vivement, qu'elle ne pouvait me saisir. Personne, d'ailleurs, ne le pouvait ! J'étais libre. Mais toujours la Terre cherchait à me retenir – et je perçois maintenant qu'elle n'y a toujours pas renoncé... Je crois que c'est à sa volonté farouche de me reprendre que je dois mes ailes – que toute mon espèce doit ses ailes. Elles poussèrent peu à peu, d'abord embryon informe plaqué contre mes flancs, puis fin membre osseux, doté d'un muscle puissant et d'une souple membrane de peau au pelage délicat, sur lequel poussèrent de solides plumes irisées. J'avais la vitesse de mes sabots, je gagnais à présent la légèreté.

Cependant, j'étais seul. Seul, et unique. Mon espèce s'était éteinte, faisant de moi être différent, recherché, prisé, avant même ma maturité – dernier spécimen vivant de ma race dans un monde que Deucalion et Pyrrha repeuplaient à leur image. Seul, donc, à nul autre pareil, je développais un farouche esprit de liberté, et me rattachais aux rares souvenirs de ma naissance pour construire mon identité, tandis que mon corps grandissait et se développait. Cet isolement me poussa à côtoyer de loin ces êtres bipèdes dont la présence était de plus en plus inévitable. C'est ainsi qu'il me parvint enfin comme un murmure – un frémissement, une pensée... que peut-être, d'autres comme moi, en auraient réchappé... se seraient réfugiés... là-bas... plus loin, plus haut... 

Cheval d'étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant