Chapitre 3

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Elle entra, referma la porte, puis ressortit aussitôt se sentant manquer d'air. Ces choses-là sont si rares et surtout si improbables qu'on n'arrive pas à les comprendre.
Nina marcha nonchalement jusqu'à sa chambre et se jeta sur son lit.
"Pourquoi veut-il me voir en extérieur ? Je ne vois pas pourquoi je devrais parler de mon future avec mon professeur de sport ! Mais qu'est-ce qui t'a pris d'accepter, bobette ?!" se réprimanda-t-elle.
Se tournant et se retournant dans son lit, la jeune fille n'entendit pas la porte d'entrée s'ouvrir. Des pas lourds, fatigués, pleins d'une sorte de lassitude, faisant craquer le plancher se mirent à monter dans l'escalier de parquet.
La douce voix de sa mère la sortit de sa transe  :
- Tu vas bien ma chérie ? Ta journée s'est bien passée ? demanda-t-elle.
- Oui, ça va. Je peux sortir tout à l'heure ? J'ai une course à faire.
Sa mère acquiesça et se dirigea vers sa chambre. Nina, à vrai dire, n'entendait pas ce qui se déroulait autour d'elle. Le désordre dans son corps était bien trop puissant et devant ses yeux dansait l'image des yeux perçants de Yann. Un regard qui marque, un regard qui fait tomber amoureux...
16h45. C'est l'heure. Son cœur bat la chamade et pourtant elle passe le pas de la porte. Elle marche, marche tout droit mécaniquement, sachant déjà où aller.
Quelques minutes plus tard, elle s'arrête devant le bistrot de La Chavorne, et ses yeux s'arrêtent sur une table placée juste derrière la vitre. Elle le voit, le perçoit et le ressent aussi.
《 Il est craquant... Mais pourquoi tu fantasmes sur un vieux ? Tu n'as pas le droit Nina ! C'est répugnant de ressentir une attirance pour cet homme ! 》
Nina hésita à prendre ses jambes à son coup, mais quelque chose la retint figée au sol, devant cette vitre qui marquerait le début du plus bel épisode de son adolescence...
Soudain, après avoir pris une gorgée de son thé, l'homme regarda en sa direction. Il lui sourit et l'invita à se joindre à lui dans l'immédiat. Son corps la brûlait tel un feu de joie en plein été. Elle pris son courage à deux mains et s'asseya en face de son plus beau rêve.
- Salut Nina. Je suis content que tu sois venue, je comprends que ça puisse te paraître étrange tout ça ! lança-t-il en riant.
N'obtenant pas de réponse de la part de son interlocutrice - à qui les mots ne venaient pas - il poursuivit :
- Je t'ai proposé ce rendez-vous car effectivement j'ai à te parler. Quelque chose cloche depuis le début de cette année. Tu n'es plus la même, je le vois bien.
Aucune réponse. La jeune fille était pétrifiée. Ne laissant pas le silence s'installer, il choisit de poursuivre son monologue, faisant penser à la scène de L'Avare de Plaute. Seul les rires manquaient à cette scène.
Oh que oui, la jeune femme savait de quoi il parlait. Cette douleur ne la quittait jamais. Elle était permanente et dans tous les cas non-optionnelle, malheureusement.
- Je sais que tu ne vas pas bien, et je m'inquiète. Lors de mes cours, tu es abattue et ne parle pas. Tu sais que tu peux m'en parler.
Nina hésita à prendre la parole, se demandant s'il était bien judicieux d'avouer à son professeur que son mal-être était aussi causé par l'amour impossible qu'elle éprouvait à son égard. Mais cette même petite chose qui l'avait empêchée de fuir la poussa maintenant à s'exprimer.
- Oui, je vais très mal, et pour tout vous dire, ce n'est pas nouveau. Ça fait des mois que ça me ronge. La vie me détruit, me tue lentement sans que j'ai les armes pour me défendre. Je me suis accrochée à quelque chose dont je n'avais pas le droit de m'approcher, quelque chose qui aujourd'hui me fait beaucoup de mal, chuchota-t-elle, une larme lui coulant le long de la joue. Et cette chose c'est vous...
Silence.
Peut-être que vous ne comprenez pas, que vous êtes sidérez par ce que je ressens mais c'est comme ça, je n'y peux rien. Moi-même je ne comprends pas, je m'en veux de ressentir cela, de vous regarder comme je ne devrais pas vous regarder et d'espérer des choses que je ne devrais pas espérer !
Elle avait lancé cela d'une traite, sans reprendre son souffle, malgré les larmes qui étouffaient sa voix. Sentant qu'elle allait exploser, la jeune fille se leva sans un regard vers son professeur.
Il la retint. Son cœur se souleva dans sa poitrine et elle s'arrêta sans pour autant se retourner.
- Nina... Ce genre d'histoires peut aller très loin. Je ne vais pas te dire de ne pas m'aimer, mais cet amour n'est pas possible. Je suis désolé Nina, je... J'aurais tellement voulu t'aider. Mais la société ne permet pas ces choses et tu le sais, murmura Yann avec un émotion étrange dans la voix. Le regret ?
La voix de l'homme se perdit dans ses pleurs et l'adolescente sortir du bistrot, engourdie, un peu comme un oiseau qu'on n'a enfermé dans une cage alors qu'il souhaitait voler. Elle se sentait prise au piège, seule. Tellement seule.
Elle marcha, pas aussi droit qu'à l'allée, titubant un peu sous l'effet de l'émotion. Elle ouvrit la porte de chez elle, grimpa les escaliers grinçants et entra dans sa chambre, son "cocon" comme elle l'appelait. Elle regarda par la fenêtre en face d'elle, aperçut la lune, et s'effondra sur le sol, amochée par la vie...

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