Chapitre 1

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Je me regarde dans le miroir fixé sur la porte de ma chambre, satisfaite de ma tenue. Après tout, je ne suis pas difficile. Un jean bleu clair, déchiré au niveau des genoux, avec un pull gris aux manches trois-quarts, c'est une tenue simple, mais cela me va parfaitement. De toute façon, je ne me préoccupe presque pas de ce que je porte en général. Je porte le plus souvent des tenues comme celle d'aujourd'hui, jeans et pull, accompagnés de mes fidèles Converses bleues. Et puis, c'est juste la rentrée en terminale, je m'en fiche un peu de ce que je porte.

J'ai un petit pincement au cœur en pensant au fait que cette année sera sûrement la dernière où je verrai mes amies. On s'est pourtant promis de ne pas perdre contact, mais j'essaye d'être lucide. C'est vrai, on va sûrement s'envoyer des messages pendant les prochaines grandes vacances, mais les SMS et les appels vont s'espacer, pour finir par disparaître.

Je secoue la tête pour chasser mes noires pensées, et après une dernière retouche à mon chignon lâche qui retient mes boucles châtain clair, je descends l'escalier pour gagner la cuisine baignée dans la lumière du matin où m'attendent Lily et Jules. Lily a eu six ans cet été, et entre donc en CP. Jules me regarde du haut de son mètre trente, tout fier d'entrer en sixième et de pouvoir se vanter d'avoir une grande sœur dans le même établissement que lui. En effet, dans notre ville, le collège et le lycée sont rassemblés dans un seul et même bâtiment.

On me demande souvent pourquoi il y a tant d'écart entre nos trois naissances, ce à quoi je réponds invariablement que nos venues au monde n'était pas programmées. Pourtant, même si chacun de leurs enfants est un accident (appelons un chat un chat), jamais mes parents ne nous ont traités comme si nous n'avions pas été désirés. Certes ils sont parfois durs avec nous, plus particulièrement avec moi car je suis l'aînée, mais jamais ils ne s'en prennent à nous sans que ça ne soit justifié. Mon père nous surnomme ses petits cadeaux de Noël surprises. En effet, malgré les années qui nous séparent, mon frère, ma sœur et moi-même sommes tous nés en décembre ou en janvier dans mon cas.

Lily trempe son morceau de pain (ainsi que la moitié de sa queue de cheval blonde) dans son bol de chocolat chaud. Je me précipite en riant pour lui relever la tête et essayer de limiter le désastre. Elle me regarde de ses grands yeux verts, identiques aux miens, et me sourit, laissant apparaître le trou qu'ont laissé les deux petites dents de lait qu'elle a perdu en jouant à la marelle la semaine dernière.

Jules nous regarde en soupirant, puis replonge dans sa BD Marvel, en cachant ses yeux bleu derrière une mèche de cheveux bruns. Il est le portrait au masculin de notre mère, tandis que Lily tient plus de notre père. Moi, je me situe dans un entre-deux au niveau des cheveux, mais j'ai indubitablement hérité des yeux de Papa.

Lorsque Jules doit tourner une page, il met par terre les miettes de son pain au chocolat, ce qui me fait doucement grogner, car c'est moi qui suis de corvée de ménage cette semaine.

Me tournant vers le placard en bois, je me mets sur la pointe des pieds et cherche à tâtons les Contry Crisp. Lorsque ma main trouve enfin ce que je cherche, je tire la boîte de céréales hors de l'étagère et m'en sers un large bol, accompagné d'un grand verre de jus de pomme. Je sors mon téléphone portable de ma poche, et tout en gardant un œil (plus ou moins) vigilant sur ma petite sœur, je regarde mon fil d'actualité Instagram.

En quelques minutes, j'apprends donc qu'Éloïse est encore exténuée à cause du décalage horaire avec San Francisco, où elle a passé ses vacances, que Lucie a commencé hier soir à afficher sur les murs de sa chambre les souvenirs de sa colonie de vacances en Sardaigne, que Ginny n'est toujours pas prête, parce qu'elle ne sait pas quelle tenue mettre...

Une photo cependant retient mon attention. Mathieu a publié qu'il espérait avoir la même classe que l'année dernière. Je ne peux empêcher le rouge de me monter aux joues, et même si je sais parfaitement qu'il ne fait pas référence à moi, mon esprit se met à divaguer... Avant d'être très vite interrompu par Lily qui vient de se renverser son bol de chocolat dessus.

"Lily ! Tu ne pouvais pas faire attention !

-Et toi alors Éva ! réplique Jules. Tu étais censée la surveiller, au lieu de baver sur ton portable !"

J'ouvre la bouche pour répliquer... Puis la referme. Il a raison.

Je prends Lily par la main et l'entraîne dans la salle de bain puis dans sa chambre, afin de la nettoyer et de la changer. Une fois la mission décrassage terminée, et les quelques difficultés rencontrées lors de l'enfilage de la petite robe à fleurs (justement un peu trop petite) je ramène la benjamine dans la cuisine et essuie la flaque de liquide chocolaté avec l'éponge, sous l'œil critique de mon cadet.

En relevant la tête, je manque de m'exploser le crâne contre la table en voyant qu'il est déjà 8h10. Je cours jusqu'à ma chambre où je mets en vrac dans mon sac une trousse, un cahier de brouillon ainsi que des feuilles. Puis je survole l'escalier, en sautant les quatres dernières marches.

J'attrape Lily, Jules, leur sac à dos respectif, ainsi que leur manteau et pousse tout ça dehors. Nous courons comme des dératés, et arrivons devant l'école de Lily, qui nous dit au revoir de la main en se dirigeant vers la garderie.

Je regarde Jules, il me regarde, je hoche la tête et nous nous remettons à courir. Il est toujours plus rapide que moi. Il faut dire qu'il fait du basket, du cross et de la natation, tandis que je fais ... Ben, pas grand chose ! Il faut dire que j'ai toujours détesté le sport, et plus encore la course. Néanmoins, j'adore faire de longues marches.

Nous arrivons au collège à 8h25, souriants mais transpirants (enfin surtout moi), avec cinq bonnes minutes d'avance. Jules regarde autour de lui, un peu perdu, puis repère Auguste, son meilleur ami, et s'élance vers lui, sans un regard en arrière.

Je fais quelque pas jusqu'au lycée situé de l'autre côté du bâtiment et à mon tour, j'observe la cour remplie après deux mois de vide. Après quelques minutes de recherches, j'aperçois enfin Lucie, Gwen, Éloïse, Thaïs et Ginny qui me font signe. Je me dirige vers elles en souriant.

Au bord du gouffre [EN PAUSE]Donde viven las historias. Descúbrelo ahora