PREMIER CHAPITRE, ou juste le début (du début)

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J'AI SOUVENT demandé à ma mère si elle pouvait m'envoyer au Svalbard

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J'AI SOUVENT demandé à ma mère si elle pouvait m'envoyer au Svalbard. J'étais petit à l'époque, enfin, l'année dernière, cette période-là. Les premières fois, elle me regardait en souriant, les yeux moqueurs, en pensant surement que c'était une blague de son fils qui grandissait trop vite. Puis elle s'était vite souvenu que je n'avais pas de sens de l'humour. Le jour d'été où je lui ai expliqué que j'avais déjà mes bagages tout prêts et que j'avais réservé des billets d'avions, elle a réagi. Peu importe le nombre de fois où je lui ai dit que j'avais cruellement besoin de solitude et que je souffrais d'agoraphobie : elle m'a simplement répondu que la population de Pau n'était pas monstrueuse et qu'il y avait pire, comme ville. J'étais pas content.

Depuis ce jour, j'aime encore moins l'humour. Je déteste encore plus l'ironie. C'est à cause des abrutis sarcastiques qui trouvent ça très drôle de jeter des faux mensonges en l'air que plus personne n'écoute. Ce type de langage n'est retrouvé que chez l'espèce humaine. Et c'est l'individu le plus ingrat et con de leur génération qui utilise le plus le sarcasme : l'adolescent.

On a beau dire que les adolescents passent leurs journées dans leurs chambres : c'est faux. C'est à l'école que vous le retrouverez la plupart du temps. C'est son habitat naturel, son sanctuaire, même si il le renie souvent. Ne croyez pas qu'il se cultive ou qu'il nourrit son cerveau : les cours de maths sont plus abrutissants que quand ta maman te fait la morale.


Le premier jour d'école, M. Béchu, prof de français et prof principal de la classe de seconde du lycée, nous a fait nous lever un par un pour se présenter. Votre nom, votre prénom, votre âge, ce genre de choses. Et il a fait le tour de la classe comme ça. Les filles disaient qu'elles aimaient les chiots et les sweat à capuches des mecs, tandis que les mecs, eux, affirmaient adorer le foot et les jeux vidéos. Et au bout d'un moment, le ventre rebondi et les yeux ronds du prof s'étaient tournés vers moi. Il a esquissé un sourire, m'incitant à faire comme la plupart des autres. J'ai soupiré.

— Je m'appelle Alphonse. J'ai 15 ans. Et, je crois que je déteste pas les oiseaux. Mais vous vous en foutez, de ça, pas vrai ? J'veux dire, on parle tous de nous, mais notre discours, il n'intéresse personne. Allez pas me dire qu'on en a quelque chose à faire que Aurélie elle aime dessiner. On s'en fout qu'elle aime dessiner. Elle pourrait continuer à gribouiller des dauphins, des poissons et des sirènes sur ses cahiers, ça nous impacterait pas, ça à rien à voir avec nos vies.

Aurélie a râlé, le prof m'a demandé de me rasseoir. Il y a eu un grand silence après ça. Trois mois plus tard, il est toujours là, ce grand silence, et M. Béchu m'adresse la parole que pour me demander de lire des textes. Ma voix suave doit surement lui rappeler les derniers cris de sa femme morte électrocutée par un gauffrier.

Et ce matin, je suis en train d'envier le sort de cette femme alors que les premières heures de ce lundi m'ont déjà entraîné dans leur routine épuisante. Je descends du bus, les écouteurs enfoncés dans les oreilles. Je ne sais même plus quelle musique est en train de jouer. Je ne sais pas même si j'aime la musique. Je sais juste que je préfère écouter ça que les autres secondes qui crient, qui hurlent, qui rigolent comme des oies derrière mon dos. La technique écouteurs, elle marche plutôt bien.

Les abeilles n'ont pas d'oreillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant