7. Découverte à l'aveugle (version éditée)

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— Mettez-la de votre côté, il vaut mieux que les shebabs continuent à croire que nous nous ignorons.

— Vous êtes une petite rusée, Jessi. Je suis sûr que vous trompez votre monde avec une facilité déconcertante.

— Que voulez-vous dire ? demanda la jeune femme perplexe.

— Je ne sais pas pourquoi, mais je suis persuadé qu'on vous donnerait le Bon Dieu sans confession alors qu'en fait il vaudrait mieux se méfier de vous. Je suis sûr que sous vos airs angéliques, vous êtes en réalité un vrai petit démon !

— Et sur quoi vous basez-vous pour penser cela ?

— C'est une impression. Une intuition, si vous préférez.

— Vous ne savez même pas à quoi je ressemble ! D'ailleurs, aucun de nous ne sait à quoi ressemble l'autre !

— Rien ne nous empêche d'y remédier.

— Ah bon ? Vous avez une lampe de poche ? Première nouvelle !

— Non, mais on peut se débrouiller autrement.

Alyssandra sentit la main de son compagnon se poser sur son épaule.

— Hé ! Qu'est-ce que vous faites ?

— Laissez-moi faire, vous allez comprendre.

Très doucement, il passa ses doigts sur le visage de la jeune femme, lissant son front, redessinant l'arc de ses sourcils. Il glissa le long du nez et caressa ses joues avant de descendre sur son menton. Pour finir, il s'attarda sur l'ourlet de ses lèvres. Alyssandra avait gardé les yeux grands ouverts pendant toute cette exploration, mais quand elle sentit son pouce suivre avec lenteur le contour de sa bouche, elle ferma les yeux et frissonna sous la caresse. Les doigts du journaliste étaient chauds, mais rien de comparable à la chaleur qu'elle sentait se répandre dans son corps. Dieu, que c'était agréable ! Ce type avait un toucher magique !

Comme à regret, Woody abandonna sa bouche et elle sentit sa main glisser dans son cou. D'une voix rauque, le journaliste murmura :

— Voilà. J'ai maintenant une petite idée de ce à quoi vous ressemblez, mademoiselle Jessi. Je continuerais bien plus bas pour me faire une idée du reste, mais je ne sais pas pourquoi, j'ai peur de me prendre une beigne.

Alyssandra ne put retenir un éclat de rire.

— Et vous avez raison ! Gardez vos mains pour vous ou vous risquez de chanter soprano à l'avenir.

— Vous oseriez vraiment ?

— Et comment ! J'ai des années d'expérience dans ce domaine.

— Vous plaisantez ?

— Du tout. Au lycée on m'appelait Casse-noisettes...

— OK, j'ai compris le message. Je serai sage comme une image ! À votre tour maintenant, Jessi !

La jeune femme se tourna vers son compagnon. Elle leva la main avec hésitation et la laissa en suspens jusqu'à ce qu'il lui murmure :

— Allez, Jessi ! Ne me dites pas que vous avez peur !

Piquée au vif, Alyssandra se lança dans l'exploration du visage de son codétenu. Elle passa la main dans ses cheveux puis elle fit suivre à ses doigts le même parcours que celui qu'il venait de faire sur son propre visage. Pour mieux visualiser les traits qu'elle découvrait, elle ferma les yeux et laissa ses mains agir. Elle retint sa respiration quand elle atteint sa bouche et ne put réprimer un léger tremblement quand elle caressa ses lèvres. C'était incroyable, elle ne connaissait pas cet homme, mais il l'attirait. Si elle s'écoutait, elle se pencherait vers lui pour l'embrasser. Cela faisait tellement longtemps qu'elle ne s'était pas intéressée à un homme qu'elle n'en revenait pas que ça lui arrive maintenant. C'était forcément dû aux circonstances. La captivité brouillait les émotions, les sensations. Elle savait cela grâce à son père. Il lui avait parlé de son expérience pendant la première guerre du Golfe. Ils en avaient longuement discuté un jour avec son frère.

— C'est complètement surréaliste ! murmura-t-elle.

— Quoi donc ?

— Tout ça. Nous. Cette situation. Nous discutons, nous plaisantons dans le noir comme si nous étions amis alors que nous sommes des inconnus l'un pour l'autre, et que la seule chose que nous ayons en commun, c'est cette cellule.

— Ça, c'est vous qui le dites ! Vous n'en savez rien.

— Nous ne nous connaissons même pas, nous...

— Je vous arrête ! Nous avons fait connaissance en bonne et due forme, nous nous sommes présentés ! Nous nous sommes même tripotés dans le noir !

Alyssandra gloussa. Ce journaliste était plutôt sympathique et de bonne compagnie comme compagnon d'infortune. Elle aurait pu tomber plus mal ! La situation était dramatique, mais il arrivait quand même à la faire rire.

— En vérité, nous ne savons pas grand-chose l'un de l'autre.

— Il est vrai que vous ne m'avez pas fait lire votre curriculum vitae.

— Il ne vous aurait pas appris grand-chose !

— Je ne suis pas d'accord ! Au moins, je connaîtrais votre âge.

— On ne demande pas son âge à une femme, Woody ! Votre mère ne vous l'a jamais dit ?

— Je n'ai jamais compris pourquoi les femmes se montrent aussi susceptibles sur leur âge ou leur poids ! Allez, dites-moi !

— Hors de question que je vous parle de mon poids !

— Quel âge avez-vous ?

— Entre vingt et trente ans. Vous êtes content ?

— Vous trichez, Jessi ! C'est trop vague. Moi aussi, j'ai entre vingt et trente ans. Allez, soyez chic, mademoiselle la nounou pour adulte...

— OK, j'ai entre vingt et vingt-cinq ans. Et je n'en dirai pas plus.

Ravi d'avoir obtenu une information supplémentaire, Woody n'insista pas et lui posa des questions plus anodines. Ils passèrent ainsi plusieurs heures à discuter à voix basse de tout et de rien, de musique, de cinéma, de sport. Ils venaient de se rasseoir après avoir passé un petit moment à marcher pour se dégourdir les jambes quand ils entendirent du bruit dans le couloir. Aussitôt, chacun regagna sa place. Avant d'observer le silence de rigueur, Woody ne put s'empêcher de tenter de rassurer la jeune femme.

— Rappelez-vous la dernière fois, Jessi, il n'y a pas eu de souci. Ça va aller, tout va bien se passer !


Canjeero : galette de pain

Bariis : riz épicé

Oodkac et muqmad : dés de viande séchée de chèvre ou de chameau principalement

Unité d'élite [Editions BMR Hachette - mars 2018]Where stories live. Discover now