Partie 1 - La pluie

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Finalement, c'était peut-être la pluie qu'il détestait le plus.

Cette pluie qui martelait son heaume à un rythme infernal sur lequel cherchaient à s'accorder les battements de son cœur. Cette même pluie qui ruisselait dans la moindre faille de son armure pour venir lui glacer la peau, le sang et l'âme. Même sa monture ne pouvait plus la supporter, remuant sans cesse sous lui, le cliquètement de ses jambières et de ses gantelets venant s'ajouter à la cacophonie chaotique qui résonnait dans son crâne.

Et pourtant, il régnait un silence absolu au sein des rangs. Pas un seul d'entre eux n'osait prononcer le moindre mot. Rien. Rien d'autre que le terrible et pesant vrombissement d'un cor qui retentissait, loin, loin derrière eux, et qui leur imposait à tous le silence, car il les prévenait de ce qui arrivait. Et la pluie s'intensifiait.

Combien de temps s'était écoulé depuis que l'ordre leur avait été donné de se tenir là, à l'affut ? Quelques heures ? Quelques minutes ? Peut-être même quelques secondes, il n'en savait rien. Les lourds nuages noirs qui les écrasaient couvraient si bien le ciel qu'aucune étoile ni lune ne se laissait entrevoir. Le jour aurait même pu s'être levé qu'il aurait été masqué par ces ténèbres qui les avaient engloutis. Des ténèbres qui s'avéraient encore plus effrayantes lorsqu'elles étaient soudainement déchirées par la fulgurance d'un éclair aveuglant.

Dans ces rares moments, il ne pouvait s'empêcher de jeter un coup d'œil autour de lui. A sa droite comme à sa gauche se tenaient d'autres chevaliers, dont aucun ne paraissait vraiment plus expérimenté que lui. Il les connaissait presque tous, il le savait, mais il ne parvenait à en reconnaître aucun à cet instant précis. Alignés dans un ordre quasi impeccable, tous arboraient la même armure grisâtre, le même écu frappé du lion caractéristique du blason royal dont les nuances ternes d'azur et de vert étaient dans la plupart des cas encore intactes, et le même heaume grossièrement sculpté qui leur couvrait la moitié supérieure du visage et les rendaient indiscernables les uns des autres. Et si les orifices de ces casques étaient spécifiquement taillés pour que ceux qui les portaient aient un aspect bestial, féroce et agressif, les yeux qu'il pouvait y voir fixaient tous la plaine qui s'étendait devant eux avec un regard qui n'exprimait que de la peur.

De quoi avaient-ils tous de peur ? Ils l'ignoraient, et c'est ce qui les effrayait. Ils ne savaient pas ce qui allait surgir de l'autre côté de cette vaste plaine, mais ils savaient que cela se rapprochait. Les sonneries lugubres du cor qui continuaient de retentir étaient de moins en moins espacées et de plus en plus fortes à mesure que le temps passait, annonçant l'arrivée imminente d'un danger dont ils ignoraient tout, hormis le destin qui leur était probablement réservé.

Tremblant de tout son corps, le jeune chevalier serra les rênes de sa monture si fort que le cuir de son gantelet lui écorcha la main. Mais il ne ressentait rien. Il ne pouvait rien ressentir, tant que ce cor continuerait de sonner. C'était la première fois qu'il l'entendait. Et le premier souvenir que cette musique avait ravivé en lui était celui des cloches sonnées à la mort du précédent roi qu'il avait entendues étant enfant.

Rythmant le pas de la marche funèbre, cette mélodie était restée ancrée dans sa mémoire à jamais, comme marquant le jour où il avait décidé de son avenir. En effet, c'est en voyant le couronnement du jeune prince à peine plus âgé que lui qu'il avait choisi de prêter serment pour défendre son royaume et les valeurs qui le nimbaient. Oh, bien sûr, son père avait hurlé. Peut-être même l'avait-il battu, mais il avait fermé les yeux et s'était concentré sur ses convictions, se persuadant qu'il s'agissait là de son premier combat de chevalier. En quelques années, il avait appris le maniement de l'épée, de la lance, de la pique et même de la dague, il avait revêtu des armures de cuir tout d'abord, puis avait été autorisé à porter de la maille et s'était senti tout particulièrement fier lorsqu'il avait arboré sa première armure de plates frappée du blason royal. Puis était venu son adoubement, où il avait juré de vouer sa vie à son roi et son royaume, reniant tout héritage territorial et toute union matrimoniale, au grand dam de sa famille. Ce jour-là, il avait vraiment eu le sentiment de réaliser un rêve.

En attendant l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant