Il pleut des larmes

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Prologue
Un cri. Effroyable.
Rempli de douleur, de regrets.
Un cri de mort. Lente, remplie de coups.
Plus un souffle. Du sang éparpillé.
Elle avait été son propre bourreau, en quelques sortes.

Conclusion de la police : un suicide et la victime ne mangeait plus, apparemment.
-  Son corps traduit à lui tout seul une volonté d'abandonner, mais elle était si jeune, prononce difficilement ma collègue.
- Nous avons été engagés pour aller chercher plus loin que dans l'enquête policière, même si, je l'avoue, son corps n'allait plus pouvoir la supporter très longtemps. Les parents sont convaincus que ce n'est pas un suicide. Ils veulent des preuves. Je ne suis pas non plus réticent  à cette idée. Tout reste à creuser.
- Assez parler.

Angèle me passe d'un geste presque automatique et habitué une cigarette.

- C'est de la merde ça, tu sais ? Encore plus dégueulasse ?
Elle hausse les épaules, geste qui me dit poliment d'accepter la clope qu'elle m'offre,  de ne pas me plaindre pour qu'elle ne me remballe pas poliment l'ego.
On a qu'une vie, c'est ce qu'elle me dit à tout bout de champ quand elle ne sait pas quoi rétorquer.

On fume silencieusement quelques minutes et je l'inspecte d'un œil discret.
De grands yeux gris en amande, un regard à rester sans voix, électrisant.
Bien qu'elle ne sourit que très peu, quand c'est le cas, de petites fossettes se creusent dans ses joues.
De petites boucles fondant sur son front lui offrent une vision partielle, bien qu'elle ait les cheveux courts.

- Qu'est-ce qu'il y a ?  Elle a l'air faussement embarrassée.

Angèle a un petit-ami.

Après notre pause, on décide d'aller parler aux parents de la victime.

Leur maison est d'un bleu coloré que je trouve nostalgique, avec un style rétro.
En dépit de cela, sur le canapé sont avachis deux adultes qui contrairement à la pièce de vie, sont ternes. Les yeux sont détruits par les larmes, détruits par la mort de leur unique enfant.
Le visage vide, Madame Roberts fait cependant un effort pour nous sourire. Elle propose de servir du thé. Son mari va en préparer tandis qu'elle commence à parler de l'affaire.

 - Merci d'avoir accepter notre demande. Je n'ai aucune idée si tout cela a un sens, si on ne fait que se raccrocher à une parcelle de rien. Mais il est indispensable que je comprenne, que nous comprenons. Nous aimions énormément notre fille. Elle était pourtant tellement remplie de vie, toujours entourée de nombreux amis, elle avait des passions, elle riait si franchement,  l'avenir s'offrait à elle avec tant de possibilités. Voilà pourquoi je ne peux pas, ou alors je n'arrive pas à croire qu'elle se soit suicidée... avec une larme à l'œil, elle s'arrête et se blottit contre son mari, dans le même état qu'elle.


J'ai les yeux pleins de compassion, et dans le ventre une angoisse prenante.
Pendant quelques minutes, tout les deux ne peuvent s'arrêter de pleurer.

Si heureuse et morte ?

Ça sonne faux.

- Je vous présente toutes mes condoléances, je sais qu'avoir la conscience tranquille est compliquée à atteindre dans ces conditions.  Vous ne pourrez pas faire votre deuil tant que vous ne connaîtrez pas la vérité, et c'est normal. Nous allons nous intéresser à votre affaire, et honorer sa mémoire.
J'ai pu sentir au son vibrant de la voix d'Angèle qu'elle était sincère. Alors, j'ajoute en les remerciant de nous avoir reçus, que dans les prochaines semaines à venir nous reviendrons pour se renseigner ou donner les avancées de l'enquête.

Arrivés dans mon bureau qui ne dirait pas non à un coup de peinture, où l'odeur de  vieux papier et de clope se mélangent subtilement, Angèle récapitule :
- Une jeune fille, dix-sept ans, trouvée morte sur une plage de Canvey, à 65km de Londres où elle vivait. Elle se serait enfuie dans la nuit et la finalité du rapport conclu qu'elle s'était suicidée. Aucune arme trouvée.
- Bon. Et toi t'en penses quoi ? dis-je en baillant.
- Je pense que vous êtes fatigué, qu'il est déjà tard pour pouvoir être lucide sur cette affaire.
- C'est d'accord, dis-je souriant, par contre toi qui me vouvoie ça m'agace. Je dois te ramener ?
- C'est trop amusant pour que je puisse m'arrêter. Et sinon merci, mais c'est bon, Luc va arriver.

Ah, ce Luc.
C'est l'homme qui vit avec Angèle. Certaines appellent ça un copain, d'autres un compagnon, mais Angèle, quand elle parle de lui, on croirait que c'est simplement son coloc'.

Mon bureau est fermé à clé, et j'ouvre un parapluie puis la porte, bravant les premières gouttes de pluie.
Un homme, avec lui aussi un parapluie, attend près de la porte. Angèle me souhaite rapidement bonne nuit et va vite rejoindre son bien-aimé. Luc fait un brève bonjour de la main vers moi. Je la vois se coller à lui, sa taille enlacée entre les mains de Luc, et ils s'en vont.
Je pars du côté opposé pour aller chercher ma voiture.

Pendant le court instant où je marche, je me souviens que j'ai toujours vu Angèle montrer des signes d'affections à Luc, mais pas autant l'inverse.
Les gouttes d'eau tombent de façon saccadée sur mon vieux parapluie bleu.
Qu'est-ce qu'elle lui trouve à ce gars, Angèle ?
Je souris, ou je grimace. C'est devenu une habitude. Angèle n'était au début qu'une collègue provisoire.
Bref. Peut-être que Luc n'aime pas lui montrer ses sentiments devant moi, que ça le gêne qu'elle passe ses journées avec moi.
Je m'emporte sûrement. Et je me mêle de ce qui n'a rien à voir avec moi.
Je rentre dans ma voiture, et pars pour aller à South Kensinghton.

AvaWhere stories live. Discover now