Danser pour s'envoler

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Elle dansait, virevoltait, tournoyait, tombait, se relevait, s'écorchait les genoux, recommençait, s'écorchait les oreilles, les joues, les yeux, valsait, s'écrasait le nez, les mains, les poumons, soufflait à s'en arracher la gorge, s'arrachait les yeux, la bouche, le coeur, la vie.

C'était Élisa et c'était un ange. Elle dansait à s'en détruire, nous rapetissant, devant sa splendeur, elle brillait par son désespoir.
Et sa danse laissait apparaître, chute après chute, les deux bosses qui s'agitaient, dans son dos, retenues par son pull tissé au fil des années de perles de tristesse.

- Tu dois la libérer ! Pour qu'elle s'envole !

Nous n'étions que de minuscules enfants, sur le rebord d'une fenêtre ouverte, et nous allions libérer un ange. Le plus bel ange que nous n'avions jamais vu, mais cette fois je n'avais plus peur. Je savais que j'étais à ma place, que j'aimais vivre toutes ces aventures, et je me fichais que nous soyons dans l'esprit d'Alex, qui dormait dans une étoile, dans le ciel. Je m'en fichais, car ma vie prenait un goût de danger et d'aventure et ça me plaisait follement.

Alors nous avons sauté. Nous avons attrapé son pull maudit, ses cheveux, ses ailes cachées. Nous avons tiré sur nos bras et grimpé jusqu'à son cou, couvert de bleus : c'était l'instant de l'action. Mais nous n'atteignons que le haut du pull, nous n'avions pas de ciseaux géants, pas d'épée, de formule ou de baguette magique. Nous avions juste nos petits bras.

- Vas-y, ai-je murmuré. Je te tiens !

J'ai solidement installé mes pieds sur l'épaule d'Élisa. J'ai attrapé le corps d'Alex, qui pouvait se pencher jusqu'à atteindre le dos de la danseuse, et dans un cri de rage, Alex a déchiré son pull de tristesse en des milliers de souvenirs qui se sont envolés dans un souffle de honte.

C'était magique : d'un coup puissant Élisa a ouvert les bras, et ses ailes se sont déployées, brisant le désespoir qui l'entourait. Deux immenses ailes qui se sont étendues dans une myriade de plumes blanches.
L'ange a recueilli au creux de sa main nos pauvres corps épuisés.

- C'est toi qui m'a sauvée.

Elle s'est saisie d'une plume resplendissante logée au creux de sa poitrine, et l'a tendue à Alex.

- Je t'en supplie, écris.

Elle a créé un tourbillon de rêves qui a emmené nos esprits. J'ai ouvert les yeux plus tard, mais mon bras me démangeait trop pour que je réfléchisse. Quand j'ai osé poser les yeux sur la peau que je grattais furieusement, j'ai laissé échapper un immense éclat de joie : ma peau était violette ! Blanche ! Elle brillait, c'était merveilleux !

- J'ai la peau colorée aussi ! Je l'ai toujours su mais je la cachais sous une peau grise et terne... mais toi tu étais tellement magnifique avec toutes tes couleurs, que j'ai su que je pouvais l'être aussi ! Personne, jamais, ne devrait avoir honte de sa peau !

Nous avons poussé la porte, et en respirant la joie qui flottait autour de nous, nous avons couru sans pouvoir nous arrêter.

La petite histoire d'AlexOù les histoires vivent. Découvrez maintenant