- Laisse-moi un instant avec lui s'il te plaît. Il faudra le convaincre et je ne pense pas que tu puisses y parvenir, souffle-t-elle avec son tact habituel.

Je pose mes yeux sur Lucifer, qui a arrêté de hurler pour continuer de pleurer. Il ne bouge même plus, telle une statue de pierre dans un musée. Il regarde, peut-être a-t-il des souvenirs qui remontent à la surface ? Je ne sais pas ce qu'il traverse, mais je sais qu'Aoile a raison. Je ne pourrais pas le convaincre avec des arguments logiques.

Il faut s'adresser à son cœur et seule Aoile a les armes pour y arriver, bien que son manque de tact me fasse redouter la suite. Je hoche la tête en me redressant, prenant conscience seulement maintenant que je m'étais accroupie pour être à la hauteur de Lucifer.

- Bien sûr, je murmure.

Puis je m'éloigne vers Thomas, qui continue de marcher sans réel but précis. Il murmure dans sa barbe des choses que je n'entends pas, incapable d'arrêter la flopée de mots qui sortent de sa bouche. Cela semble le calmer ou forcer son esprit à penser à des choses plus calmes. Je me vois obligée d'arrêter sa marche pour le forcer à me regarder.

Il faut que je le garde avec moi si je ne veux pas le voir mourir. Ses yeux rencontrent enfin les miens et je peux y lire sa peur et sa tristesse. Mais aussi un peu de colère, sans doute à mon encontre.

- C'est ta faute ! Pourquoi tu n'as pas voulu qu'on parte avant hein ? On aurait pu éviter tout ça ! Maintenant on va mourir et c'est de ta faute, crie Thomas en me fixant.

Ses jolis yeux virent au plus pur des blancs et je vois transportée dans ses visions. Sous mes yeux horrifiés, je regarde des citoyens mourir. Ici, un enfant touche un nuage de ses petits doigts boudinés et son âme s'envole pour entrer dans ce monstre, sous le regard choqué de ses parents.

Le cri de désespoir de sa mère résonne dans mes oreilles, m'écorchant le cœur. Là-bas, une vieille dame regarde son âme partir vers un monstre. Le bruit de son tricot frappant le sol au ralenti me brise le cœur et une larme roule sur ma joue. Plus bas dans la rue, la mère de l'enfant s'écroule à son tour, privée de vie.

Je regarde les corps tomber, les uns après les autres, incapable d'arrêter les images. Les rues de Paris se remplissent de corps. Je me retrouve près de l'Arc de Triomphe, dans un cimetière automobile. Dans toutes les voitures, des corps sans vie, le regard vide. Plus aucun bruit ne règne dans la capitale, si ce n'est les monstres qui crient leur victoire.

Aucun être vivant ne croise mon chemin, seulement des corps, des corps et d'autres corps. Il y a des nourrissons, qui tétaient simplement le sein de leurs mères. Des hommes d'affaires dont les mallettes tombent et s'ouvrent, révélant des photos de familles et des dossiers.

Des groupes d'enfants qui rentraient sans doute du lycée. Mon cœur se fait déchirer à chaque corps qui tombe et finit en lambeaux quand les yeux de Thomas reprennent leurs couleurs d'origine.

- C'est à cause de toi tout ça, tu es...commence le jeune homme.

Il s'arrête comme s'il ne trouvait pas le mot à employer. Un mot qui poignarde mon cœur bien qu'il ne l'est pas dit. Mes yeux me piquent et je baisse la tête quelques secondes pour essuyer mes larmes et retrouver un visage plus serein.

Mais j'en suis incapable, surtout que le mot m'échappe, me taillant la gorge comme si milles aiguilles y avaient élu domicile :

- Un monstre ?

Il hoche la tête et de l'eau s'échappe de mes yeux. Une larme roule en écho sur la joue de Thomas. Il enlève ses lunettes pour l'essuyer et je lève le regard pour constater de la progression des monstres dans notre direction.

Les Chroniques d'Idan (tome 1) : La Dernière BansheeWhere stories live. Discover now