Chapitre I

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— Il faut que tu me parles. Je suis là pour ça, je peux t'aider Samantha.

Un rire sinistre sort de ma gorge contre mon gré. M'aider ? Mais à quoi ? Je ne sais même pas pourquoi je viens. Cela fait partie d'une routine qu'il m'est agréable de suivre. Histoire de me dire que je ne suis pas seule, que quelqu'un m'attend, a besoin de moi. Peut-être pour rassurer Madame Henoch, ma tutrice ? Pour essayer d'être plus qu'un souffre-douleur pour les autres ? Le silence grossit de plus en plus, jusqu'à se presser contre ma poitrine, m'empêchant lentement de respirer. Si je le laisse faire, je serais peut-être morte dans dix minutes. C'est sans doute la meilleure chose à faire. Pourtant, quelque chose en moi s'accroche encore à la vie. Pourquoi ?

— Comment ?

Je l'entends griffonner dans son carnet avec un soupir.

— En me parlant Samantha. Je suis ici pour t'écouter, t'aider, te conseiller, répète-t-elle.

Je sais ce qu'elle se dit. Les jours se succèdent et rien. Cette phrase, elle me la répète à chaque séance, espérant que cela débloque quelque chose et que je me mette à parler. Mais rien. Est-ce que je ne veux pas ? Ou est-ce un véritable blocage ? 

Je n'ai moi-même pas la réponse. Depuis un mois, je rentre dans ce cabinet avec l'espoir d'y laisser mes problèmes, mais ils restent à mes côtés quand je ressors. Ils me suivent jusqu'au lycée, jusqu'au foyer d'accueil, jusqu'à ma petite chambre. Je me sens si pitoyable quand je m'assois dans ce fichu siège en cuir rouge. 

Être face à cette petite bonne femme brune à lunettes octogonales qui étudie chacune de mes expressions faciales pour écrire je-ne-sais-quoi dans son petit carnet de psychologue, ça me tend. La vérité, c'est que je ne veux pas parler, je ne veux pas que son regard sur moi change. Je ne veux pas qu'elle me traite de folle, qu'elle demande mon internement. Je n'aurai jamais dû en parler à ma tutrice. 

J'avais réussi à garder ça pour moi pendant longtemps, mais le lycée a fait exploser ce masque que je tentais de garder. Le lycée, les élèves, les insultes, les coups. J'étais victime de harcèlement scolaire, parce que les autres me voyaient comme « différente ». La plupart du temps, j'ai le nez dans un roman fantastique ou mythologique, mes favoris. Par conséquent, j'ai plus de mal avec les interactions sociales et m'ouvrir aux autres est un véritable problème chez moi.

— Samantha, tu n'as pas besoin de garder ton masque dans cette salle. Je ne suis pas l'un de tes petits camarades, je n'ai aucun intérêt à te blesser. Tu peux me parler sans crainte, reprend-t-elle.

Le docteur Dubois essaye, depuis que je suis entrée à Sainte-Catherine, d'apprivoiser la « petite Samantha blessée » qui réside en moi. Seulement mon masque est là depuis si longtemps qu'au départ, je n'arrivais même pas à prononcer un seul mot. Petit à petit, le masque s'est fissuré jusqu'à exploser et me voilà de retour chez elle pour traiter une "maladie". 

Selon elle, c'est "naturel après un tel choc" de vouloir me replier sur moi-même et oublier que je vis en société. Je sais qu'elle parle de mon accident, survenu l'année précédente. Selon cette psychologue, le fait d'être introvertie ne m'aide pas à m'en remettre, car j'aurai besoin d'amis pour m'épauler. Je ne suis pas introvertie, je suis volontairement asociale. Je n'ai pas d'amis et quelque part, je n'en veux pas.

A cause de ça, je suis perçue comme une folle. Et par conséquent, j'ai été internée à l'Abbaye de Sainte-Catherine, qui, sur sa brochure, dit traiter « les premiers symptômes de folie ». Cela épargne donc au patient d'entrer dans un véritable hôpital psychiatrique dans lequel il n'aura que des séances chez le psychologue et des ateliers pour essayer de sortir de sa folie. Ici, j'ai une scolarité normale. Je suis au lycée, en filière littéraire. 

Les Chroniques d'Idan (tome 1) : La Dernière BansheeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant