Partie 2. Chap 3. La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie

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Juste une petite anecdote comme ça, quand j'ai écrit ce chapitre, j'écoutais "with or without you" de U2... Ce qui m'a énormément inspiré. Par contre, j'ai remarqué qu'il n'y avait aucun dialogue... Laissez moi vos avis, je veux savoir si ça va quand même... Ou pas! Sur-ce: bisous!! J'espère que vous aimerez.

Tu sais, quand j'y repense j'ai été ultra indulgent avec toi, avec notre couple. Après qu'ils m'aient laissés sortir de l'hôpital, j'ai eu le droit à pleins de médicaments pour "ralentir la douleur" et "rallonger mon espérance de vie". C'est bien connu: "l'espoir fait vivre". Les médicaments aussi, apparemment. Enfin, c'était juste des merdes pour me permettre de respirer. Pour me permettre de te regarder.

T'étais un vrai spectacle. T'as commencé à faire rentrer tout le monde à la maison, alors qu'avant c'était juste nous et nos amis les plus proches. Juste toi et moi. Ça a toujours été toi et moi contre le monde. Et là, à cause de ce foutu cancer, tu acceptes n'importe qui à la maison. A poser les fleurs autour du lit, où tu m'obliges à rester tous les jours, à regarder la télé. Comme si j'étais mort. Mais ça avait l'air de te réconforter. Me faire passer pour le pire des humains sur Terre, ça avait l'air de te consoler, de te faire accepter que dans moins de six mois je ne serai plus là.

Quand on y pense, c'est court six mois. C'est vrai. Ça représente quoi dans un vie ? Sur 35 ans, six mois c'est rien. C'est la moitié d'un an. Six mois, c'est deux-tiers d'une grossesse. Mais on peut faire pas mal de choses en six mois. De toutes façons, on n'a pas d'autres choix. Quand on a que ça, quand on vous dit que le reste de votre vie se résume à six mois, que vous ne pouvez rien y faire, vous l'acceptez, vous pleurez, vous faites face, et vous vous y accrochez, à ses six mois. C'est ce que j'ai voulu faire. Mais toi, David, tu m'en as empêché.

T'as commencé à me droguer avec ces médicaments qu'ils m'avaient prescrit. Ça avait l'air de te rassurer. Je sais pas ce que tu te disais quand tu me les donnais. Mais crois moi, ça ne m'a jamais guérit. Ça diminuait la douleur, c'est tout. Mais j'ai rien dit, encore. Je voulais pas que tu t'inquiètes, comme d'habitude. Parce que je t'aime.

Tu me laissais pratiquement jamais me lever. Tu voulais tout faire à ma place. Tu voulais que je meurs en paix. Au fond de toi, c'est ce que tu pensais. Je le savais. Tu voulais pas que je souffre. Mais David, ce que tu faisais, ça, me faire passer pour l'homme le plus faible de l'humanité, ça me tuait encore plus que cet enculé de cancer. C'est vrai quoi? Y a quand même pire que moi sur Terre quand on y pense! Des gosses qui se font violés, des petites filles et des petits garçons qui crèvent la dalle, des personnes presque mortes bouffées par les mouches, ou encore des gens vivant dans leur merde, ou ces homos vivant avec le sida, ou ces personnes qui, parce qu'elles sont différentes, se font tabasser dans une ruelle quelconque en même temps que j'écris ces mots. Mais tu vois David, j'étais pas faible. J'avais encore de la force en moi. Je voulais me battre. Pour moi, pour toi, pour nous. J'avais pas le droit de gaspiller ces six mois sur un lit à attendre de crever lentement.

T'avais pas le droit de me laisser mourir, t'étais tout ce qu'il me restait. T'es tout ce qu'il me reste, David. C'est pour ça que j'écris mon histoire, pour toi. Pour personne d'autre.

Mais tu l'as pas compris. Combien de fois on s'est prit la tête? Combien de fois je t'ai dit que j'avais besoin de jouer du piano et que toi tu devais retourner travailler, mais comme d'habitude tu voulais pas me laisser. J'étais mourant, David, pas handicapé.

Puis, quand tu allais finalement travailler pour pas te faire virer, je m'éclatais, tout seul, mais je m'éclatais. Je sortais la vodka, que je gardais caché dans le placard du couloir, près des toilettes, celui où on rangeait tout le matériel pour nettoyer. Je mettais de la musique, à fond. Et je dansais, nu ou habillé, j'en avais rien à foutre. Sur la table ou sur le lit, qu'importe. Ça me faisait du bien. Oh putain oui, ça faisait du bien. Je m'éclatais même si c'était assez pathétique et plutôt ridicule, je me sentais en vie. Pendant un court instant, j'avais l'impression de revivre. Et je dansais, je dansais à en perdre pied. Je dansais à plus sentir mes jambes. Je dansais jusqu'à ce que la douleur revienne. Je dansais jusqu'à ce que tu reviennes, toi l'homme qui était devenu ma plus grande douleur.

Tu me faisais souffrir, David. Tu sais ce que ça fait de prendre 4 pilules toute les deux heures six fois par jour? Tu sais ce que ça fait, David, de devoir supporter une douleur qui te fait tellement mal que t'as juste envie d'en finir avec toi-même? Parce qu'en plus je devais te supporter toi, mon amour, mon fardeau, mon tout. Le maitre de mon bonheur et de ma souffrance. Parce que tu me tuais, David. Toujours à être sur mon dos, sans jamais vouloir me laisser vivre. A toujours mettre des fleures autour du lit, comme si j'étais mort. A vouloir savoir comment je voulais organiser mes funérailles. A vouloir m'emmener voir tout le monde une dernière fois avant de mourir. Ça me tuait, David. Et tu ne le voyais même pas. Ce que tu me faisais endurer, c'était affreux, David. J'en avais marre de toi, marre de cet appart', marre de ce lit, marre de ces médocs, marre de ce foutu cancer, marre de ton amour. J'en pouvais plus.

Alors j'ai commencé à vouloir te faire comprendre qu'il fallait qu'on profite des ces derniers six mois. Qu'il fallait croquer le peu de vie qu'il me restait. Que surtout il ne fallait pas que tu déprimes, parce que toi t'allais continué à vivre, et que c'était la plus belle chose au monde qu'on puisse t'accorder.

Mais tu ne m'écoutais pas. Tu me disais que je ne pouvais pas être positif dans de telles circonstances, que c'était pas possible pour toi de vivre seul, sans moi. Que j'avais pas le droit de te laisser seul. J'avais l'impression que tu me le reprochais ce cancer, David. Ton amour m'étouffais, tu m'étouffais.

Finalement, on était revenu au point de départ. J'avais l'impression que ce cancer était bien plus que ce qu'il laissait penser. Comme si, c'était le signal qu'il fallait que je fasse quelque chose de ma vie, parce qu'elle est courte. Qu'il fallait que j'arrête d'être bloqué dans ta vie si parfaite, qu'il fallait que je découvre la mienne. Qu'il fallait que je découvre mon propre bonheur.

Toute cette situation m'avait rappelé une citation de Malraux, un auteur qu'on avait étudié au Lycée: "La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie." C'est à ça que je me raccrochais, pour survivre. Pour essayé de me libérer de toi, pour essayé d'oublier ce cancer. Je voulais profiter de cette putain de vie. De ces foutus six mois. Je voulais saisir cette seconde "chance" que cet enculé de Dieu m'avait accordé.

Tu te souviens combien j'aimais l'Australie? Le pays de mes rêves! Je me rappelle déjà qu'au Lycée j'en étais fan, que je pouvais te parler de Sydney et de son opéra pendant des heures. Toi, tu m'écoutais, même si tu t'en foutais, je voyais bien que ce qui te plaisais c'était voir la passion dans mes yeux. Cette énergie que tu aimais tant, cette soif d'aventure qui te rendais attentif quand je parlais. Je l'avais perdu. J'avais perdu tout ça. Mais quand j'ai commencé à comprendre que tu ne m'aiderai pas à profiter des six derniers mois de ma vie. J'ai recommencé à être passionné, sans t'en parler.

J'ai été chercher des renseignements sur l'Australie. Je voulais y aller une dernière fois avant de mourir. Avec ou sans toi, je voulais y aller. Découvrir Sydney, bronzer sur la plage, faire un road-trip dans le désert, voir des kangourous, rencontrer des tribus australiennes, parler anglais, rencontrer des inconnus, m'amuser, oublier.

Alors j'ai commencé à prendre contact, sans t'en parler. Je voulais partir. Je voulais me casser d'ici. C'était décidé dans ma tête, j'allais te proposer de venir avec moi. J'allais acheter des billets, j'allais tout préparer, faire un planning, réserver. J'allais tout faire pour passer de merveilleux derniers six mois. Je voulais que ces derniers moments soient mémorables. Je voulais que, lorsqu'à 90 ans, tu repenseras à tout ça tu te dises: "Ah la la, en fin de compte il avait raison cet abruti". Je voulais qu'on parte tous les deux pour que je me sente en vie une toute dernière fois, et si possible, avec toi.

Revivre avec toi, une dernière fois. En Australie, dans le pays de mes rêves. Avec l'homme de mes rêves, celui pour qui j'avais tout sacrifié.

Mais, c'était clair: avec ou sans toi, je ne resterai pas une seconde de plus à pourrir ici.

Je t'attendrai.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant