36. Les silences

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J'y étais. Devant moi, le portail du lycée paraissait encore plus impressionnant qu'auparavant, il m'intimidait, me faisait presque peur.

J'étais dans un tel état face à ce fichu bloc de ferraille car il symbolisait la délimitation, non-seulement du lycée, mais surtout d'un espace où je ne pourrais plus faire marche arrière.

Après ce portail, pas de retour possible. Après ce portail, la discussion avec Thomas serait inévitable. Et cette discussion, j'en avais autant envie que peur. J'appréhendais, je doutais de lui, mais surtout de moi. De ma réaction à ce qu'il me dirait, de ce que moi j'allais lui dire.

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Ça n'avait pas manqué, je n'étais pas dans l'enceinte du lycée depuis cinq minutes que j'avais senti une main, celle de Thomas, retenir mon poignet.

J'avais cherché quelques instants dans ses yeux quelles intentions l'animaient à ce moment précis, de la colère, de l'angoisse, de l'envie, de la joie, quoi que ce soit, mais je n'avais rien perçu. Son visage semblait fermé, il n'était pour autant pas sévère, on aurait plutôt dit une personne en pleine concentration, et dont l'indifférence extérieure referme un intérieur en ébullition.

Il s'était contenté de sourire, chose que j'avais aussi faite en retour, et avait simplement déclaré que nous serions bien mieux dans un endroit plus calme. Il nous était impossible de sortir de lycée mais Thomas semblait avoir déjà réfléchi à tout cela car il emprunta rapidement un couloir que je n'avais jamais pris. Et moi, évidemment, je l'avais suivi.

Après quelques couloirs de moins en moins remplis et une enfilade d'escaliers, j'avais compris où il m'avait emmenée. Nous étions sur le toit.

~~~

La plupart des gens qualifie un silence selon sa durée. Un court silence, que l'on remarque à peine, est un silence insignifiant. Tandis qu'un long silence, lui, est étrange, il rend mal à l'aise, c'est malsain, c'est mauvais.

Je ne pense pas comme ça. Tout au long de ma courte vie, j'ai eu l'occasion de connaître un tas de silences, avec un tas de personnes, dans un tas de situations. Suffisamment pour savoir que la durée ne joue en rien sur le silence lui même.

La plupart de ceux que j'ai vécu étaient paisibles, réconfortants, car la majeure partie du temps, un silence réconforte plus que des mots, un silence multiplie la sensation d'être avec la personne avec laquelle on le partage.

Bien-sûr, personne n'est à l'abri d'un instant où l'on n'a rien à dire, que la personne en face de nous non plus, et que vous estimez que le silence à cet instant, bien qu'il soit inévitable, n'est pas bon signe.

Un des pires silences que l'on peut vivre à mon avis, c'est celui que l'on vit seul, celui-là, que ce soit en pleine après-midi dans un parc ou le soir dans notre lit, est toujours plein de mélancolie et, bien souvent aussi, de regrets.

On se repasse notre journée, notre semaine, notre année, et on regrette. On ne se rappelle pas les éclats de rires, mais on revoit en détails chaque échec, chaque chose que l'on aurait pu mieux faire. Et on regrette encore plus. Alors, enfin, on se rappelle que l'on ne peut toujours pas remonter le temps et que la meilleur façon de réparer ses erreurs est de faire mieux demain. Et on sourit, même en sachant qu'on y repensera demain, et dans une semaine, et sûrement l'année prochaine aussi.

Mais de tous les silences, le pire est celui que je vivais à ce moment. Celui qui obsède.

La vue est belle d'ici.
Pourquoi ne dit-il rien ?
Il fait beau aujourd'hui en plus.
Pourquoi ne dit-il rien ?
C'est dingue qu'on puisse accéder au toit si facilement.
Pourquoi ne dit-il rien ?
Pourquoi ne...

Tu m'as changéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant