Le vide de Michael.

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Il n'était beau. Il n'était pas laid non plus.

Michael n'était pas le genre de mec qui attirait le regard. On passait devant lui mais on ne se retournait jamais. Parce qu'il n'était pas beau, mais aussi parce qu'il n'était pas laid non plus. De taille moyenne, les cheveux châtains, les yeux foncés. Rien de particulier. Rien qui attirait le regard, sauf peut-être son nez. Il était assez grand. Mais ce n'était pas laid.

Michael avait quelques amis. Il n'avait jamais été seul. Il avait toujours été entouré, ne s'était jamais retrouvé seul à la cantine, ni lorsqu'il fallait travailler en groupe. En sport, il n'avait jamais été choisi le dernier. Mais jamais le premier non plus. Oui, Michael avait quelques amis, mais ce n'était pas le genre d'amis qui se sacrifient pour toi. Jamais ils ne l'auraient défendu si la brute du lycée l'avait frappé, jamais il ne lui aurait proposé de passer la nuit chez eux s'ils avaient vu qu'il allait mal. C'était ses amis, pas sa famille.

Michael n'avait pas de chance. Déjà, avec un prénom pareil, à son age... Sa mère était fan de Michael Jackson et comme elle finissait toujours par obtenir ce qu'elle voulait de son mari, ce fut Michael. Michael n'avait pas de chance mais parfois, il se disait qu'il en avait un peu parce que si son père avait été celui qui aurait choisi son prénom, ça aurait pu être pire. Il était fan de Michel Sardou. Hormis ce détail, il n'avait pas de chance. Avec les filles, par exemple. Il était assez difficile parce qu'il détestait les filles stupides et superficielles, mais il n'aimait pas non plus celles qui était trop intelligentes parce qu'elles le rabaissaient. Alors lorsqu'une fille lui plaisait enfin, il y avait toujours un problème : elle venait de se faire larguer, elle avait déjà un copain, elle ne s'intéressait pas lui. Une fois, il y en avait même une qui était lesbienne. Avec le sport aussi il n'avait pas de chance. Depuis tout petit, il a dû essayer des dizaines de disciplines mais aucune ne lui plaisait. Mais quand il a découvert qu'il était plutôt doué au tennis, imaginez son enthousiasme, son bonheur.

Mais Michael n'avait jamais eu de chance, alors un mois plus tard, il s'est blessé au genou. Interdiction de pratiquer du sport.

Michael était quelqu'un de banal. On ne le remarquait pas plus que ça. Dans une foule, on repérait toujours Julien qui était beau et grand. On posait forcément les yeux sur Dina, la jolie petite rousse au visage recouvert de tâche de rousseur. Sur Thibaud, le gros. Sur Lisa la grande au cheveux blonds. Mais jamais sur Michael.

Sauf qu'il y avait Sarah. Sarah et ses grosses lunettes. Sarah et ses mains tâchées de peinture. Sarah et son sens de l'observation. Sarah qui remarquait Michael.

Si elle avait su ce qui se passait dans la tête de Michael, elle aurait été lui parler.

- Tu n'es pas seul, lui aurait-elle dit. Je te vois.

Mais elle ne voyait que l'extérieur. Elle avait remarqué la cicatrice qu'il avait au dessus de son sourcil, ça lui avait plu. Elle rêvait de passer ses doigts dans ses cheveux épais, le long de l'os de son nez. S'il s'était retrouvé seul, rien qu'une minute, elle aurait été le voir. Elle lui aurait demandé :

- Tu t'es fait ça comment ? en montrant sa cicatrice.

Mais Michael avait des amis. Il n'avait jamais été seul. Alors elle n'est pas allé lui parler.

Sarah lui aurait sûrement dit qu'elle aimait bien son prénom. Il y avait plein de Thomas, Julien, Baptiste, Charly au lycée. Mais un seul Michael. Elle aurait surement essayé de le prononcer à l'anglaise, "parce que c'est encore plus mignon".

Pour tout le monde, Michael était quelqu'un de banal. Personne ne le voyait dans la foule. Sauf Sarah. Sarah a remarqué son absence ce jour-là. Elle a remarqué le vide qu'il laissait parmis tous ces gens. Ses amis étaient toujours là. Julien, Dina, Thibaud, Lisa aussi. Ils étaient tous là, ils continuaient de vivre normalement. Julien était toujours beau, Dina était toujours vive, Thibaud était toujours gros et Lisa, elle était toujours ici aussi. Mais pas Michael.

Le lendemain non plus. Sauf que le lendemain, tout le monde savait pourquoi et tout le monde remarquait qu'il n'était pas là. Sarah, elle avait envie de les secouer et de leur hurler dessus parce qu'il avait fallu que Michael se jette dans le vide pour qu'ils le voient. Mais elle, elle n'avait pas eu besoin de ça. Le vide qu'elle voyait, il s'était jeté dedans.

Le jour de son enterrement, Sarah est allé le voir. Elle s'est excusée de ne pas lui avoir dit qu'elle le voyait. Parce que Sarah remarquait tout. Et ce jour-là, elle a remarqué le bleu qu'il avait dans le cou. Le maquillage le recouvrait à peine. La cicatrice à l'arcade, le bleu. Sarah remarquait tout. Elle avait toujours su qu'il se passait quelque chose dans la vie de Michael. Il se passe toujours quelque chose dans la vie des gens. Mais Sarah arrivait toujours trop tard.

Le soir, dans sa chambre, elle a pris un marqueur noir et elle s'est approchée de son mur blanc. Elle a écrit la phrase d'une main tremblante, mais elle l'a écrit.

SI VOUS VOUS ARRÊTIEZ DE BOUGER ET QUE VOUS REGARDIEZ LES GENS AUTOUR DE VOUS, VOUS VERREZ QU'ILS EXISTENT.



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