A l i o s h a

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Son livre en main, Aliosha traçait son chemin, le nez caché d'entre ses pages. Ses pieds le menaient là où sa conscience semblait vouloir aller. Ses yeux - dont la couleur était encore indéterminée à ce jour, parcouraient les mots à vitesse grand V, sans prêter attention au Paris qui l'entourait. Il tournait l'énième page de son roman lorsqu'une mélodie réussit miraculeusement à extirper Aliosha de son compagnon de route, Victor Hugo. Légèrement perdu, il fouilla de son regard la foule, à la recherche de cette source musicale. Sans grand succès. Il avança de quelques pas, perdit la page de son bouquin, bouscula certains passants et oublia momentanément l'intrigue des Misérables, apercevant entre deux jeunes gens, une silhouette noire. La chevelure rousse du jeune homme se fraya difficilement un chemin jusqu'à ce qui semblait être le centre du monde. Touristes, étudiants, habitués, tournaient en un cercle sans fin autour de la jeune asiatique assise face à son piano. Ses cheveux noirs ondulaient, tout comme les notes, dans le vent frais, emportant avec lui, le jeune étudiant parisien. Les longs cils noirs de ses yeux fermés, ressortaient sur sa peau aussi blanche que neige. Ses grandes mains fines, passaient d'une touche à l'autre sans se concerter tandis qu'un bruit sourd fit sortir brusquement le jeune homme de sa rêverie. Il chercha frénétiquement l'origine de ce trouble, et l'aperçu enfin. Victor Hugo était à terre. A ses pieds, il gisait, pages cornées et ventre ouvert au son du concerto en la mineur. Opus 16. D'Edvard Grieg.
La chute des Misérables ne parut pas déstabiliser la musicienne qui ne frémit même pas.
Soudainement le jeune homme ressentit le besoin de voir la belle musicienne se tourner vers lui, il voulut croiser son regard au moins une fois avant de ne plus la revoir. Il entreprit alors de l'interpeller, sans succès, il lui posa nombre de questions qui restèrent sans réponse. En dernier espoir, il posa sa main tachetée de rousseur sur le frêle bras de la musicienne.
Un sursaut. Un accord de travers et des yeux ouverts. Un regard bleu, déstabilisé, surpris, étonné, obliqua sur Aliosha.
Le regard de glace de la belle asiatique fit passé l'ultime message entre les deux jeunes gens.

Alors il comprit.

Elle n'avait tout simplement jamais entendu le Paris autour d'elle, ni la magistrale chute des Misérables ni le son de son propre piano. Seules ses pensées avaient le pouvoir de résonner en sa conscience.

Elle ne jouait pas pour elle même mais pour les autres.

Alors souriant et Victor Hugo en main, il déposa une pièce dans la capelline noire et se rendit là où ses pieds semblaient vouloir aller.

A R T I S T EWhere stories live. Discover now