4. SMITH

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Les trois jours passent assez vite, à conduire et à faire des pauses de quelques heures. Léna a choisi ma compagnie pour ce voyage, au lieu de celle de Lucas. Je crois que ce qu'il lui a dit, ne lui a pas plu. Je peux la comprendre, mais sur le coup, je rejoins Lucas. Elle montrait clairement qu'il l'intéressait et puis elle m'en a déjà touché deux mots. Alors, je ne comprends pas non plus ce changement brutal. Elle, seule, le sait. Mais apparemment, elle résiste et persiste à rester renfermée sur ce sujet.

Pendant les jours qui ont suivi l'hospitalisation de Lucie, ils sont restés auprès de moi, et je ne les remercierais jamais assez pour ce qu'ils ont fait. Ces jours n'ont pas été de tout repos pour eux non plus, puisqu'un fantôme de leur passé persistait à les persécuter pendant ce laps de temps, tout comme moi.

— Je t'ai entendu parler au téléphone, en pleine nuit, ce matin, amorce Léna. C'était Lucie ?

Je hoche simplement la tête en guise de réponse, et elle reste silencieuse. J'ai l'impression que derrière son silence sans faille, elle sait. Comme s'il elle ressentait la même douleur, que je peux ressentir, que Lucie ressent en ce moment, et que Lucas a ressenti par le passé. Je le sens. Léna a dû vivre un truc moche dans son passé comme nous tous, mais elle a une capacité à cacher ses émotions dévastatrices beaucoup plus efficace et forte que nous autres. Je me demande bien comment elle fait.

Je lui jette un regard en biais, pour voir qu'elle est encore une fois plongée dans son portable, et qu'elle se mord nerveusement les ongles. J'aimerai bien savoir ce qu'elle regarde depuis des jours sur ce truc, mais je sais qu'elle ne me le dira pas. Elle est bien trop dans la réserve sur ce côté. J'ai appris à le comprendre et à l'observer pendant cette période sombre. Ses yeux retenaient tout ces tourments qui la hantaient, et les dévoraient un par un, pour qu'ils disparaissent loin.

— Un cauchemar, pas vrai ?

Sa voix est plus forte. Cette fois, elle lâche son portable, même si elle le garde à porter de main.

— Oui, encore et toujours.

Je soupire, en enclenchant mon clignotant à droite pour prendre la sortie qui va nous guider tout droit vers Mesa. Léna repose sa tête sur son bras, dont le coude est fixé sur l'embrasure de la vitre. Ses yeux sombres sont figés sur la route, qui défile machinalement sous nos regards.

Après quelques secondes de silence, elle pose une main rassurante sur la mienne, qui est restée sur la boîte de vitesse. Je m'entends laisser échapper un petit soupir. Je sens que Léna va m'être précieuse dans cette étape difficile que Lucie va devoir surmonter. Et que je vais surmonter à mon tour.

— Je pourrais lui parler, si tu veux. Les cauchemars c'est aussi mon rayon, elle lance sur un ton monocorde.

Elle ne dit rien de plus, et nos souffles restent en suspens. Je savais bien qu'elle cachait quelque chose de triste sous sa carapace, mais elle refuse encore de m'avouer la nature de cet épisode qui a bercé un moment de sa vie. Elle reste évasive, comme me l'a clairement dit Lucas, en tentant une énième tentative pour qu'elle crache le morceau et qu'elle lui fasse part de son blocage.

— Je pense que ça lui ferait du bien, effectivement. Mais laisse-moi préparer les choses avant. Je te l'ai dit, elle vient au Bal des Pompiers, mais uniquement pour me faire plaisir, on dirait. Je n'aime pas cette sensation de l'avoir obligé, je grimace.

Le Bal a lieu demain soir, et apparemment c'est une tradition dans la caserne depuis des années. Il faut y amener un cavalier ou une cavalière. Sans réfléchir, Lucie m'est apparue comme un choix évident. Mais, je pense qu'elle a accepté sous le coup de la contrainte, et je commence à culpabiliser. Bon, si elle ne veut vraiment pas y aller, nous n'irons pas. On peut très bien passer une soirée tranquille, ou ne pas se voir, si elle veut être seule.

FIGHT FOR US 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant