La Triade

Les ruines de Brumesel - 3

La situation infligea au moine un amer mélange à la fois glacial et bouillant. Sa respiration se faisait haletante, il détestait courir pour devoir attraper quelque chose, car cela signifiait une perte de contrôle. Une faille. Un plan pourtant simple venait d'être réduit à peau de chagrin par un retournement qu'il n'avait pas prévu. Il se tenait immobile dans ces sombres nuances de gris où les rares rayons lumineux tapaient outrageusement les gravures indécentes et malséantes. Pris en étau entre un Guadani devenu nerveux, sur la défensive, bien trop au courant de l'Ancien Temps - un sujet tabou et oublié -, et un Argan subitement assailli par un flux de magie le rendant imprévisible. Par Kèrmoros, il détestait ce sentiment de vertige et d'indécision. Il fixa songeur le bout du tunnel où venait de disparaître quelques secondes plus tôt son cher ami d'enfance, refusant de croiser le regard d'Erzio.

- Il est défaillant ? souleva Guadani avec cynisme.

L'autre secoua la tête en signe de négation, cette protestation énergique mit Erzio sur la défensive. S'il était clairement agacé, son coéquipier de l'église du feu n'était que peur et appréhension.

- Je crains que son sang de druide le domine, bégaya le moine.

- Druide ? Foutaise ! Il n'y a plus de druide depuis la Grande Fracture ! répliqua Guadani en scrutant Maldei avec insistance.

Celui-ci se ratatina un peu plus sur lui-même et lorsque l'on sait que Maldei est d'un gabarit longiligne, ce repli sur soi lui donnait un air grotesque. Guadani perdait patience et jetait un œil méfiant vers l'angle où Argan s'était engouffré pour disparaître. Il détestait perdre son temps, il haïssait aussi les secrets et les manigances, le pire étant d'user des deux pour se payer sa tête : Argan et Maldei suscitaient en lui la plus profonde des colères. Le moine de l'église du feu prit une inspiration avant de lui répondre.

- Physiquement oui, ils sont morts depuis des centaines d'années, mais leurs descendants perdurent.

- Tu veux me dire que vous m'avez caché son sang de Bretterre ? s'emporta Erzio, les poings serrés et les yeux éclatant de fureur.

« Par Kèrmoros, que je déteste ce qui perturbe mes plans » projeta Guadani en triturant, machinalement, l'épée de sa famille encore au fourreau : Tempérance. Le mensonge le répugnait et c'était pour lui un défi colossal de ne pas envoyer le moine valser contre un mur. Une fois son héritage récupéré, il interdira aux menteurs de proliférer comme de la chienlit ! Ce Maldei disparaîtra de la liste des noms pour occuper le poste de Deus, « il me faut un homme ou une femme pour qui les mots dignité, loyauté et respect aient un sens ».

- Les Bretterres ne peuvent pas contrôler la terre, ou très peu, attaqua sèchement Guadani.

Le moine préféra hausser les épaules devant la mauvaise humeur cinglante de son camarade. Il se braquait trop facilement et il apprit à passer outre ; Erzio avait tendance à se croire supérieur aux autres, un défaut d'ego que revêtaient tous les membres de la famille Guadani. Être maniaque du contrôle et de la précision figurait aussi parmi la liste des vices horribles dont il était la propagande vivante.

Maldei sentait la fureur ronger son âme, en digne Pyromage qu'il était, il parvenait à dénicher les feux de la passion, celle de la justice, celle du pouvoir. Parfaitement entremêlées, elles susurraient à Erzio de continuer sa route, seul. Si le prince l'abandonnait, Maldei prendrait son temps pour le suivre afin d'instaurer le plus de distance possible. Les colères des sudistes revêtaient un caractère épouvantable et sanglant, surtout chez cette famille qui fut renversée pour son goût des sacrifices humains et des soupçons de cannibalismes.

- L'air, le feu, l'eau et la terre ne se contrôlent plus, rectifia le moine, appuyant sur chaque syllabe. En revanche, les plus sensibles peuvent encore entendre les éléments, le flux peut s'insérer en eux et atteindre le cerveau. Plus le flux s'avère pressant, plus la perte de contrôle est grande.