Être au service de Fallon - Basile Lambroise

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L'Antre. LE bureau. Pour évoquer la pièce où s'enfermait Arman Costello, les sobriquets s'alignaient dès que le ministre avait le dos tourné. Habitué à la cour, Costello laissait les langues se délier une fois qu'il atteignait l'angle mort des courtisans, opposition comme admirateurs. Le temps était une unité de mesure et il lui était impossible, pour ne pas dire prohibé, de le perdre pour des futilités et des ragots. Voilà pourquoi il refusait de parler de sa vie privée, assurant que son épouse et leurs enfants se portaient comme un charme. On riait alors de la rigide discrétion d'Arman, prétextant qu'il devait probablement préférer les hommes ou qu'il était marié à son travail. Les enfants étant les citoyens de Fallon.

Néanmoins, en dépit de sa figure ronde, de son air guindé et de ses yeux pétillants, il restait ministre. Et lorsque l'on était un ministre, on était forcément détesté, secrètement jalousé et son pouvoir totalement convoité. Pourtant, Costello ne gérait aucunement les finances, ce domaine était attribué à la banque du palais, l'argentier et son cénacle comptaient la moindre dépense et analysaient scrupuleusement les rentrées. Non, Costello hérita de la lourde charge des secrets, de la sécurité interne et externe au royaume, de la défense et la guerre, de la magie et des relations avec le Deus. Il était donc au courant de tout ! Il établissait des fiches de renseignement sur chaque habitant de Fallon, étudiait les mouvements de troupes (alliées et ennemies) et s'occupait des caprices du Deus, de la formation des Bretterres, de la surveillance des Aquamoines, Pyromages et Eosages.

On disait que si vous pensiez trop fort de tuer votre belle-mère, Costello vous pendrait le jour d'après. Il était l'ombre du roi Mathorin III et son plus fidèle allié, il était la main de fer dans le gant de velours, celui dont on ne pouvait avoir le luxe de s'en faire un ennemi. S'il n'exécutait pas le sale travail, il en pensait les moindres détails. Ancien Bretterre et Commandeur de ladite faction, il devint un grand ami pour le roi dont il partagea les conquêtes et les défaites.

Personne n'oserait entrer dans l'Antre. LE bureau.

Sauf un seul personnage, le secrétaire d'Arman Costello : Basile Lambroise. À Fallon, la règle était simple, un orphelin adoptait le nom de famille de sa ville de naissance ou de la cité dont il chérissait le souvenir. La seule exception, une fois de plus : Basile Lambroise. Il détestait le village de Lambroise situé dans la même région que la capitale royale, Haumont. Il haïssait chaque minute, chaque habitant et touriste s'étant délecté sur sa personne. Ou plutôt, sa demi-personne. Basile Lambroise était un nain, non un descendant du peuple mythique du Premier Âge, mais une personne atteinte de nanisme.

Dans cette mêlée de rire et de caillou projeté, de tomates et de doigts pointés, seule l'arrivée du Ministre Costello causa un silence résolu et sinistre. La foule se dispersa pour reprendre son quotidien, les plus intéressés s'empressèrent de promouvoir la cité notamment la qualité de l'air, l'agriculture florissante ou encore la bienveillance des villageois. Passé l'éternel couplet du monde parfait où tout est beau et sans saveur, le ministre put se défaire des enquiquineurs pour se pencher sur un cas qui l'intéressait. Il se rapprocha alors du nain et s'attira les regards curieux des passants, Arman entama la conversation :

— Monsieur, vous apprendrez qu'il est inutile de juger la hauteur avec laquelle ces gens bas d'esprits vous contemplent. Ensuite, retenez qu'on ne juge pas un grain de poivre sur sa taille, donnez-le à manger à vos convives et vous les verrez être piqué à vif. Enfin, si vous n'avez rien de mieux à faire dans ce village, sachez que j'ai un travail à vous proposer, dans ma Maison.

Costello vit des flammes investirent les prunelles déjà courroucées de Basile. Le nain s'empressa de cracher au sol, salissant les chaussures vernies du ministre qui ne parut pas s'en émouvoir. « Décidément, les gens en colère manquaient d'inventivité pour marquer leur territoire... », pensa Arman.

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