21. Encore des cartons

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Les jours passent et la situation ne s'améliore pas. Le cousin Evans est à Londres, aux frais de père car « il ne peut pleinement prendre possession de son bien » mais a très aimablement accepté de laisser un délai, modeste compensation financière, à la famille. Il clame publiquement qu'il est désolé de cette situation qui l'ennuie autant que nous. Ce grand homme qu'il est n'aspire qu'à la paix au sein de sa famille. Père se veut conciliant, la situation n'est due qu'à une série de malchance, le pauvre cousin Evans, si sympathique dans les souvenirs qu'il a de lui, n'est pour rien dans cette terrible affaire. Père se borne à répéter cette litanie, il ne faut, d'après lui, pas se mettre cet homme à dos. Cela ne ferait qu'empirer les choses. Mère est loin d'être d'accord. Elle rugit dès qu'elle entend père tenter de la convaincre, soit constamment, et part faire un énième rangement. Le lieu qui nous a hébergés depuis ma naissance est quasiment vide, mère ne laisse que les meubles qui étaient là avant elle, même chose pour les fournitures.

— Ellya, me dit-elle un matin, nous allons emménager quelques temps chez grand-mère, j'aimerais que nous envoyions tes affaires au château dès aujourd'hui.

J'acquiesce et veut filer m'exécuter mais mère n'en a pas fini. Elle veut que nous redécorions cette demeure avant de partir.

— Ton père et moi avons tout entreposé au grenier, je veux que tu te charges de la mise en place. Que cette maison ait l'air prêt à accueillir le cousin Evans. Il nous coûte une fortune dans son hôtel londonien, je veux que cela casse.

J'obtempère, mes affaires, prêtes depuis longtemps, partent pour le château. Idem pour celles de père et mère. John arrive en plein déménagement, maussade comme toujours depuis mon retour, et nous annonce de but en blanc qu'il a loué un petit appartement à Londres.

— L'un de mes amis est fils de parlementaire, son père me prend comme collaborateur pour les questions rurales.

— Grands dieux John ! s'exclame mère sans lâcher le torchon qu'elle pliait, tu commences une carrière en politique ? Je ne te savais pas si engagé.

Mon frère secoue la tête, rien à voir avec un quelconque engagement, c'est une profession honorable et en adéquation avec ses compétences.

— C'était ça ou proposer mes services en tant que gestionnaire au cousin Evans. Je ne me vois guère ici, ce serait trop douloureux. Quant à gérer un autre domaine... Je ne sais pas.

— Le père de Lydia ne pourrait pas te prendre comme gestionnaire ?

John me répond que non, le faire aîné de Lydia occupe déjà ce poste.

— Et il hésité toujours à rompre nos fiançailles. Lydia menace de fuguer s'il tente quelque chose mais je doute qu'elle ait le courage de tout quitter pour moi.

Mon frère tient vraiment à elle, je ne sais pas pourquoi, elle n'est guère futée, mais c'est ainsi. Mère l'enlace, elle sent toujours lorsqu'un de ses enfants a besoin d'un câlin. Elle déclare accueillir cette décision avec fierté.

— C'est très courageux de ta part John, je ne doute pas de ton succès, sois assuré de notre soutien. Ton père et moi allons t'aider au mieux.

John reçoit avec chaleur ces paroles, il en avait bien besoin. Il refuse néanmoins leur aide, il n'aura que peu à faire pour s'installer, eux en revanche doivent encore trouver une nouvelle maison.

— Ce sera rapide, assure mère, je ne compte pas m'éterniser chez ta grand-mère.

Qui aurait envie de s'éterniser chez elle ?

Je monte au grenier et y découvre toutes les affaires entreposées depuis des décennies, voire plus. S'y trouvent des portrais sévères qui me donnent des frissons rien qu'à les regarder. J'en mettrai un dans la grande chambre. Il y a vraiment de tout ici, c'est un vrai bric-à-brac. Je commence par un inventaire rapide et déplace les objets pour les regrouper par pièce. J'ai l'impression d'être décoratrice d'intérieur en charge de la mise en valeur d'un bien pour vente. C'est un peu ce qu'il nous arrive, à ceci près que l'on ne vend pas, cousin Evans récupère son bien. Je m'active dans la poussière, le rangement prend forme.

Des bruits de pas se font entendre dans l'escalier, Delina apparaît, souriante, et vient m'aider. Elle suit mes ordres sans broncher et discute mais elle brûle d'impatience de changer de conversation, je la connais. Je réalise que nous ne nous sommes pas vues depuis mon retour, je ne lui ai pas raconté mes vacances. Je lui montre ma bague avec une certaine fierté.

— Mère m'a dit que c'était confirmé et que tu allais au château, félicitations ! Enfin un peu de bonheur en cette période sombre !

Je prends de ses nouvelles, profitant de l'occasion. Delina est chez sa meilleure amie, fiancée elle aussi, et le séjour est très agréable. Les parents de Lucy, l'amie en question, sont la seule ombre au tableau. Ils se sont mis en tête d'aider notre famille de la meilleure manière qu'ils connaissent : en invitant tous leurs amis célibataires à des « partys ».

— A croire que je ne suis bonne qu'à me marier, gémit Delina. Cela dit je ne devrais pas être étonnée, Lucy et moi faisons les mêmes études, ce n'était déjà pas assez honorable pour elle. J'aimerais tant partir à Londres ! J'ai déjà regardé le cursus, il y a celui que je veux à l'université de la capitale, ne reste qu'à convaincre Mère.

— Tu crois qu'elle acceptera ? Nous n'avons pas d'amis proches à Londres.

— Mis à part toi non ? me demande Delina avec un sourire malicieux. Vous avez bien une maison à Londres non ? Une fois mariée, je pourrai te rendre visite et faire mes études là-bas, tu seras ma connaissance respectable.

Delina sème le doute en moi, je ne lui ai pas dit que Xyrus vivait dans un hôtel. Il est cependant fort probable que le vieux duc ait eu un pied-à-terre à Londres. Encore un mystère à résoudre.

— Et les autres ça va ?

Delina acquiesça. Courtney va très bien, elle s'amuse comme une folle et sort avec son ami, celui pour lequel elle a quitté son mari. Elle semble avoir oublié le fait qu'elle était sans situation et sans maison. Ashleen et Beth c'est l'inverse, elles se noient dans le travail. Ashleen cherche un autre posté du côté de Londres, Beth aussi.

— Enfin officiellement elles restent où elles sont hein ? Elles ne veulent pas choquer mère plus encore. Et John ? Cela fait un temps que je ne l'ai pas vu.

— Il part pour Londres lui aussi ! Il s'engage en politique, collaborateur d'un parlementaire.

— Tout le monde part pour Londres en fait.

— La capitale offre plus de possibilités que notre campagne c'est certain. Mais je doute que père et mère décident de venir également, la ville est trop moderne pour eux.

C'est l'un des grands défis de leurs vies d'ailleurs, s'adapter à leur temps. Toute une partie de la population y est confrontée, Londres et les autres métropoles furent les moteurs de grandes avancées mais la campagne peine à suivre. Pas étonnant que le clivage ne fasse que s'accroître. Nous sommes deux mondes dans un même pays.


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Merci d'avoir lu ce chapitre ! 

Axel.  

Gentlemen and LadiesWhere stories live. Discover now