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Seoul,
Quartier Seogyo-Dong

11h14

La librairie est bondée.
Maladroitement, il se faufile parmi la masse compacte et inconfortable. Après avoir déposé son sac remplit de ses bouquins déjà lus, il parvient à se frayer un chemin, non sans peine, jusqu'à la sortie.

Le vent s'est levé, et regrettant de ne pas s'être davantage couvert, il frissonne par une bourrasque s'infiltrant dans l'étroitesse de la rue.
En face de la librairie, une nouvelle boutique qu'il n'avait jamais vu auparavant lui attire l'œil. Un antiquaire.
N'ayant pas d'impératif autre que de remplir son estomac qui commence à crier famine, il décide d'y faire un tour.

Il aime les belles choses. Bien qu'il n'ait jamais été collectionneur, ni même grand amateur de reliques anciennes, il apprécie néanmoins regarder, et imaginer.

Oui, l'imaginaire. Comme il se plaît à imaginer des histoires sur les visages, les objets l'inspirent tout autant. Ceux qui ont traversé le temps, qui sont passés de mains en mains, qui portent en eux l'âme de leur ancien propriétaire.

C'est spontanément qu'il passe le seuil du magasin, qui pourtant semble être la depuis toujours. Étriqué, poussiéreux, sombre et encombré, des objets s'entassent, se chevauchent même parfois, sur une multitude d'hautes étagères placées aléatoirement contre les murs et au centre de la pièce au plafond haut. Un long comptoir fait face à l'entrée, surmontée d'un présentoir vitré contenant certainement les objets les plus précieux.

Il s'avance dans les allées étroites, qui lui semblent étrangement vides après avoir quitté la librairie surpeuplée. Il observe les bibelots datés avec attention, s'arrêtant parfois sur un objet plus intéressant qu'un autre. Une petite boite oviforme nacrée d'un camaïeu de bleus attire son attention. Une fine couche de poussière la recouvre, il l'époussette un peu avant de la saisir pour l'observer. Il la détaille, la retourne, curieux, et découvre une fine phrase italique gravée sur le métal argenté.

"À mon plus grand amour."

C'est avec exactitude ce genre d'objets qui l'attire. Ceux dotés d'une histoire, et celle-ci est forcément belle.

La boite comporte un petit loquet, qu'il enclenche pour découvrir ce qu'elle renferme. L'intérieur, qu'il imaginait vide, révèle un minuscule mécanisme, ainsi qu'une manivelle tout aussi petite. Une boite à musique. Avide de découvrir la mélodie enfermée dans l'écrin, il tourne lentement la petite tige d'acier. Et les notes se mettent à danser à ses oreilles, aiguës et aussi délicates que le tintement des grelots le soir de Noël. Cette mélodie harmonieuse, douce et légèrement mélancolique, lui procure le même frisson que lorsque le vent effleure sa nuque. Comme une de ces musiques tristes qui nous font pourtant du bien lorsqu'on l'écoute au moment opportun. Après s'être repus de sa curiosité, avec un vaporeux sentiment de satisfaction, il referme délicatement la boîte, et la remet en place avec précaution.

Cet endroit valait décidément la peine de s'y être arrêté.

Il poursuit sa quête de distraction au fil de son sillon dans les allées, contournant l'étagère de la boite à musique pour explorer son verso.

Ses yeux se portent vers un nouvel objet qui lui semble intéressant. Il tend sa main, mais suspend soudainement son geste. La mélodie de la boite résonne à nouveau à ses oreilles, face à lui, juste de l'autre côté du pan qu'il observe désormais.

Au travers de l'étagère sans fond, et des bibelots plus ou moins rangés, il aperçoit deux mains tenir cette même boite qu'il tenait lui-même l'instant d'avant. Il n'entrevoit que cela de l'individu, puisque son buste est masqué à sa vue par une pile de vieux livres légèrement rongés par les mites.
Les mains sont belles, longilignes, masculines mais délicates, d'une jolie teinte hâlée.

- Puis-je vous aider, Monsieur ?

Il sursaute puis, la main sur le coeur, se détourne de sa contemplation.

Un vieil homme, petit et au dos voûté par son apparent grand âge, le regarde posément les mains jointes dans le dos. Il lui sourit chaleureusement, et ses yeux pétillent derrière de grosses lunettes à double foyers.

- Oh, bonjour. Je ne fais que regarder, merci.

L'homme continue de l'observer, un étrange et mystérieux sourire sur ses lèvres ridées.

- Cette boite à musique vous intéresse, n'est-ce pas ? Lui chuchote-t-il, gardant ce même sourire malicieux.

- Elle est très belle, c'est vrai.

- C'est curieux... Marmonne-t-il, l'air pensif, en se grattant le menton de deux de ses doigts.

- Excusez-moi Monsieur, mais qu'est-ce qui est curieux ? Demande-t-il, imitant son murmure.

- Jeune homme, j'ai cette boite depuis plus de vingt-cinq ans, et personne n'y avait porté un quelconque intérêt avant aujourd'hui ...

Sa phrase reste en suspend, Jungkook le questionne du regard, attendant la suite. Voyant son regard interrogateur, le vieil homme poursuit.

- Et bien, il est curieux que deux personnes, le même jour, et à la même heure, laissent s'échapper cette mélodie qui n'a plus été entendu depuis déjà de nombreuses années.

Ses petits yeux plissés étincellent à nouveau, une expression énigmatique sur son visage parcheminé. Jungkook frissonne, sans vraiment savoir pourquoi cette étrange sensation vient peu à peu l'effleurer. Dérouté par ses paroles à n'y rien comprendre, il ne sait que répondre, face à l'œil malicieux du petit homme.

- C'est peut-être une coïncidence. Lui-glisse le vieil antiquaire d'un ton amusé.

Ce dernier fait volte-face pour retourner vers son comptoir à petits pas, puis murmure une dernière phrase à son égard.

- Ou bien, est-ce peut être le destin ? ...

Puis il rit avant de plonger son nez dans son livre de compte.

Déconcerté, il se retourne vers l'étagère, les mains ont disparu.

Par politesse et par égard pour le vieil homme, il décide de ne pas s'enfuir malgré l'incongruité de cette discussion. Bien que légèrement mal à l'aise après cet échange sans queue ni-tête, il finit son tour de la boutique.

Depuis le fond de la pièce, une voix jeune et masculine s'élève et lui parvient, s'adressant à l'antiquaire.

- Bonjour, j'aimerais acheter cette boîte à musique s'il vous plaît. Déclare l'inconnu.

Le timbre est rauque et onctueux, profond, comme un souffle.
Et il jugerait l'avoir déjà entendu quelque part...

Ne souhaitant pas abuser de sa curiosité, il se retient de tenter d'entrevoir l'inconnu.

Il écoute les deux hommes conclurent la transaction, puis, lorsque le tintement de la porte d'entrée résonne, il se dirige vers la sortie, saluant poliment le propriétaire.

Et il a juste le temps d'apercevoir une silhouette passer devant la vitrine et s'éloigner, chargée d'un petit sac en papier.

C'est lui, il en est certain.
C'est l'homme qui boit son café fort, et sans sucre.

i n w a r d  •  Kth  ◦  JjkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant