Au final, elle avait mené à bien sa mission et son fils en était devenu un adepte. Il fallait aussi admettre que les vinyles lui rappelaient sa mère, qui avait quitté la Suisse pour le Danemark pendant son adolescence, à la recherche d'une paix intérieure mais surtout à la poursuite de Roger, son bel amant immobilier. Contrairement à ce que son père aurait désiré qu'il ressente, il ne lui en voulait pas parce qu'au plus profond de lui, il savait que partir avait été la seule solution et qu'un jour ou l'autre, il la rejoindrait, un vinyle à la main.

Il tendit les bras au-dessus de sa tête pour s'étirer, tel un jeune enfant s'échauffant pour son cours de gymnastique, à la différence près que son pyjama à motifs d'ananas remplaçait la tenue de sport. Une fois sur pieds, il enfila ce qui traînait sur le parquet : un vieux jean brut et un t-shirt arborant comme slogan un supermarché danois, celui que sa mère lui avait envoyé pour son dix-septième anniversaire. Ensuite, direction la cuisine où il avala une demi-tasse de lait de soja et attrapa une pomme posée sur le plan de travail. Il jeta un bref coup d'œil à ses affaires pour vérifier qu'il n'avait rien oublié avant de tourner le loquet de la porte d'entrée.

Vivant au septième étage de l'immeuble, Abel pouvait profiter d'une séance de sport gratuite chaque matin, ce qui avait le mérite de le réveiller pleinement. Bien sûr, l'immeuble était doté d'un ascenseur mais le jeune homme n'avait jamais vraiment apprécié les espaces fermés surtout que, du haut de son mètre quatre-vingts neuf, il frôlait quasiment le plafond. Sans oublier le fait qu'il était presque impossible d'éviter les conversations avec ses voisins dans l'ascenseur tandis que dans les escaliers, il pouvait toujours prétendre un retard ou accélérer le pas.

Une fois sa casquette mise, il commença à descendre les deux cents trois marches que comptait l'ensemble des escaliers. À vrai dire, s'il en connaissait le nombre exact, c'était grâce à Sonia, sa petite nièce de cinq ans, qui les avait toutes comptées un samedi après-midi qu'elle avait passé chez lui. La pauvre gamine n'avait pas eu le courage de terminer les cinquante-six marches restantes alors l'oncle Abel l'avait portée jusqu'à l'appartement. Il se dépêcha de passer devant la porte du quatrième parce que la vieille Janine apparaissait souvent à l'improviste, profitant de son âge pour demander à ses voisins quelques faveurs, ce qui n'aurait pas dérangé le vingtenaire si elle n'avait pas eu un caractère si désagréable.

le garçon qui lisait dans l'escalier // finiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant