L'antre du Dragon

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Écrit en Juillet 2016 :

Dans un coin de l'auberge dans laquelle il s'était réfugié, caché sous un grand chapeau de paille, Hua Lang observait les autres clients du coin de l'œil. Assit bien droit sur la banquette et les mains jointes sur la table, il sondait chaque visage de ses yeux noirs. D'une taille assez petite, le corps flottant dans une tunique ample trop grande pour lui, Lang avait un physique qui le faisait passer inaperçu. Ses cheveux noirs et secs ramenés en un catogan serré n'avait rien d'exceptionnels non plus et l'ensemble faisait que les gens le voyaient puis oubliaient sa présence immédiatement. Cependant, si on se penchait un peu plus sur lui, on pouvait décerner une allure altière derrière les fripes qu'il portait et un visage fin à la mâchoire délicate qui accompagnait un petit nez et de beaux yeux en amande. Mais dissimulé sous son couvre-chef, le jeune homme était invisible aux yeux de tous.

La masure était plongée dans une ambiance poisseuse, comme si un nuage de graisse et de saleté s'était abattu depuis si longtemps dans la pièce qu'un brouillard s'y était formé. L'endroit était assez allongé, des vitres sales s'étendaient sur trois des quatre murs et un long bar s'étalait paresseusement en longeant le dernier mur. Tout semblait sale et poussiéreux, du barman chauve dont la barbe filasse effleurait le verre qu'il essuyait aux autres voyageurs dont les bottes soulevaient un nuage de poussière terreuse à chaque pas. Il regardait tous ces visages émaciés qui ne se souciaient guère qu'aux portes de la Chine la guerre était là. Déjà omniprésente dans la cité impériale, la menace que représentait les Huns en route vers les terres de l'empereur inquiétait toute la cour. La nouvelle commençait à se répandre dans les cultures, les émissaires de l'empereur engageant un homme par famille. Mais dans une région aussi éloignée que celle où se trouvait Lang, la nouvelle n'avait pas encore alarmée les hommes.

Le jeune homme soupira et jeta deux pièces d'argent sur la table pour payer le gîte et le couvert de l'auberge avant de saisir son paquetage qui trainait dans la poussière. Il était temps pour lui qu'il reparte. Il rabattit rapidement son couvre-chef sur ses yeux afin qu'il n'y ait aucune chance que quelqu'un puisse le reconnaitre et il sortit de la pièce à l'ambiance poisseuse. L'air pur de l'extérieur lui fouetta le visage comme un seau d'eau froid, le sortant de la torpeur dans laquelle la chaleur de l'auberge l'avait légèrement plongé. Il avança à grand pas vers les écuries et sourit en voyant son fidèle compagnon sortir la tête de son box et tourner vers lui ses oreilles aussi noires que la nuit. Hua Lang déverrouilla la porte et s'introduit aux côtés de son ami. L'énorme cheval émit un petit hennissement pour souhaiter la bienvenue à son maître qui passa une main sur les muscles saillant de l'animal. L'étalon faisait sa fierté depuis sa naissance. Il l'avait vu grandir, en avait pris soin et s'était chargé de le dresser avec patience et justice. Le cheval était devenu un splendide animal, d'un noir de jais avec uniquement une liste blanche continue, partant de son menton et grimpant jusqu'à son front ainsi que des balzanes chaussées aussi claires que le coton qui lui remontaient le long des membres jusqu'aux genoux. C'était son père qui lui en avait confié la charge.

Tandis qu'il attachait son paquetage et qu'il mettait sa selle à Khan, Lang se prit à repenser à son vieux père et à ce jour fatidique qui l'obligea à partir loin de chez lui dans une quête impossible.
Hua Lang était un nom d'emprunt afin de passer inaperçu car il était l'enfant premier né de l'empereur. Sa fierté. Tout aurait été parfait si seulement Lang avait été un homme. En effet, il était né femme. Ça n'a jamais empêcher l'empereur de l'aimer de tout son cœur et de l'élever comme il l'aurait fait avec un fils. Mais dans ces conditions, sans héritier mâle à qui léguer le royaume, le vieil homme ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter. Heureusement, huit ans plus tard naissait enfin un héritier. Rien n'aurait pu gâcher la quiétude qui s'était installer dans le palais impérial et les deux enfants grandissaient doucement. Jia, la fille aînée arrivait bientôt à l'âge de se marier et son père lui avait déjà trouvé des prétendants afin de pouvoir allier différentes terres. La vie suivait son cours jusqu'à ce qu'un matin, un messager trempé de sueur fasse irruption dans le palais impérial. La guerre était là, aux portes de la Chine... Les Huns étaient déjà sur les terres de l'empire du Milieu mais l'armée de l'empereur n'était pas à même de les défendre. Ils étaient trop forts, trop nombreux, trop résistants. Des émissaires furent envoyés aux quatre coins du pays pour recruter des hommes mais l'espoir était mince. Après avoir retourné le problème encore et encore, l'empereur repensa aux vieilles légendes, celles qui contaient les œuvres des gardiens de ce pays : les Dragons. Ça faisait maintenant bien longtemps qu'on n'avait plus vu de pareilles créatures dans les campagnes mais il se devait d'essayer. C'était leur seul espoir. Malheureusement l'empereur se faisait vieux. Bien trop vieux pour un voyage aussi éprouvant que le serait celui-ci et le jeune frère de Jia était quant à lui bien trop jeune. Et comble du désespoir, seul un membre de la famille impériale pouvait se permettre de communiquer avec un dragon. Tout autre qui essayerait se ferait dévorer sans autre forme de procès. Alors un soir de pleine lune, la veille du départ de son père, Jia prit des vêtements d'homme d'un des serviteurs travaillant à l'écurie, sella son cheval et parti à travers la contrée dans sa quête impossible. Cela obligea l'empereur à annuler son voyage. Il ne pouvait pas la dénoncer. La loi était claire : sa fille serait exécutée sitôt que la supercherie serait découverte. C'est ainsi que Hua Lang naquit. Les premières semaines furent difficiles pour le jeune homme mais il s'adapta rapidement à sa nouvelle condition.

Chronophage [recueil d'OS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant