Chapitre 1 - Leven

72 4 0
                                    

-Aller aller ! Fonce !

Un sourire énorme sur les lèvres, nos pas claquent rapidement au milieu du centre commercial, tandis que les portiques du magasin sonnent fortement. Le coeur qui bat a 1000 à l'heure, bordel je m'habituerais jamais. Je la vois courir devant moi en riant tout haut. Elle est si belle dans cet état. Et derrière nous, les officiers nous courent après. Pas le temps de s'arrêter, bousculant toutes les personnes n'ayant pas l'intelligence de s'écarter sur notre passage. Magasins après magasins, nous tenons notre rythme en direction du monde de dehors. C'était une après-midi de folie. Manger une glace en faisant du shopping, faire des grimaces aux enfants pour les faire pleurer. Voler tout un tas de chose que de toute façon on aurait jamais pu s'acheter. C'était dans nos habitudes de foutre la merde. On nous connaissait. On nous connaissait pour nos tags insalubres sur les murs, on nous connaissait pour les piscines improvisées dans les supermarchés. On nous connaissait pour fumer le soir à une heure pas possible et finir totalement perchées en frappant à la porte du maire. On nous connaissait pour beaucoup de choses. Beaucoup de souvenirs qui me plaisent tant.
Et maintenant on cours. On cours comme on le peut, comme on le sens. Avec un seul but précis...l'escalier de secours. Et quand on parle du loup... on en voit la queue.
En une fraction de seconde nous nous y engouffrons, sans aucune crainte, parce que ce parcours, on l'a fait une dizaine de fois. J'entends dans mon sac le tintement du parfum, contre les lunettes et je sens le poids des baskets que j'ai volés. Bon. Je sais ce que vous allez dire : oh mon dieu... c'est une voleuse quoi ! Bla bla bla. Me faites pas la leçon de morale, parce que quand vous vivrez en l'an 3054, quand la guerre vous aura séparé et isolé du monde extérieur, quand votre mère sera totalement dépassée par vous, quand vous serez renié par la société : et bien on pourra éventuellement en reparler. Mais pour l'instant, j'ai autre chose à faire que d'écouter ma conscience. Parce que je sais pas si vous avez remarqué : mais y'a deux colosses qui nous courent après et je tiens pas à me faire pincer.

Devant moi, Clarisse saute la barrière et tombe dans la rangée d'escaliers inférieurs et je me lance à sa suite. En atterrissant je ressens une vive douleur à la cheville, mais pas le temps de s'inquiéter. On doit sortir de ce putain de merdier.
Après une dizaine de sauts et de galères, j'aperçois enfin le monde extérieur : Athènes, du moins ce qu'il en reste. Les événements de la guerre et du temps ont ravagés des ouvrages précieux de durs bosseurs. Et un peu partout dans la ville, on peut voir la végétation dominer la zone urbaine. L'air dehors me mets une grande claque. Il fait si chaud ! (Marrant quand on sait que je suis un Bélier, un signe du feu.)
Clarisse fonce droit sur la route bondée, sans réfléchir je cours derrière elle. Je lui fais une confiance aveugle. C'est peut-être excessif, stupide. Mais elle représente énormément pour moi. Et quoi que vous en pensiez : je m'en contre balance de votre opinion.
Une voiture s'arrête de justesse devant moi et mon premier réflexe est de lui faire un doigt d'honneur munit d'un sale regard.

-Putain ! Fais attention connard !

Clarisse pouffe de rire et nous reprenons notre course folle. J'ai l'impression que chaque seconde n'est rien, qu'une limite fixée à ce que nous vivons pour nous rappeler que rien n'est éternel. Sauf que je suis persuadée que nous sommes éternels. Nous ne mourrons jamais, nous sommes le temps et vous savez quoi ? On se fixe nos propres putains de limites. Cercle vicieux. Comme les poissons qui tournent en rond dans leur bocal, on perd notre temps à le compter, le temps. Et si ce fameux connard me défie bah je lui montre que j'en ai décidé autrement. Je suis ma propre limite, rien ne me retient jamais.

C'est à quelques rues d'ici que nous nous arrêtons, dans une ruelle un peu délabrée, éloignée de tout. Je m'adosse au mur et tente de faire fonctionner mes poumons correctement, tandis que Clarisse récupère en comptant le nombre de téléphones qu'elle a chipé. Elle est si belle... ses cheveux blonds tombent en douceur sur ses épaules, et accompagnés de ses yeux noisette, de son nez fin, ils dressent un tableau parfaitement séduisant. Clarisse et ses cheveux. Clarisse et son sourire. Clarisse et ses remarques provocantes. Clarisse et sa bonne humeur légendaire. Clarisse et son bordel d'idées tordues. Clarisse... Clarisse et moi. Clarisse et mes sentiments.
Nos regards se croisent une fraction de seconde, mon coeur manque un battement et nous explosons de rire. Instinctivement je me rapproche d'elle, et nos lèvres se touchent avec vivacité. Je sais. Une femme, et une femme. Où est le problème ? C'est si bon, de donner de l'amour et d'en recevoir. C'est si bon de l'entendre du matin au soir... C'est si bon de se sentir à sa place.

En quelques minutes nous avions fait le tour de nos trouvailles en riant et en s'engueulant quant aux objets volés inutiles. Pourtant rien ne dure bien longtemps entre nous. Tout se dissipe en quelques minutes. Parce que rien n'est important, rien n'est grave. Le monde entier passe après quand je suis avec elle. J'aime sentir son parfum, lui tenir ses cheveux. J'aime l'embêter et rire avec elle. J'aime même me disputer avec. Parce que tout ce que je suis : c'est grâce à elle.

Elle fouillait dans son sac, et moi je la regardais. Je la regardais avec un léger sourire aux lèvres. J'aurai pu rester ici des heures, juste à l'observer. Malheureusement nous n'avons pas eu cette chance. J'aurai du savoir... j'aurai du deviner. j'aurai du me rendre compte que les sirènes étaient trop fortes, trop proches. Ils ont débarqués avec une telle violence que nous sommes restées tétanisées. Et avant même d'avoir pu réagir, une matraque s'abattait sur ma tête, et je fermait les yeux en entendant le corps de Clarisse heurter le sol à son tour.

En me réveillant, tout ce qui était autour de moi était froid. Morne. Une sale odeur de pisse, une lumière trop forte, trop verte. Un silence de marbre... Merde, j'étais en taule. J'étais de retour dans ma deuxième maison. Super. Clarisse... Clarisse ! Malgré une vive douleur à la tête je me suis redressée, tout puait dans cet endroit. J'aurai tout donné pour partir d'ici, pour partir de cet endroit un peu trop familier pour moi.
Stressée, j'ai regardé dans tous les sens et finalement je l'ai vue, dans la cellule d'en face. Elle reprenait à peine connaissance à son tour. Quelque chose puait dans cette histoire. Pourquoi nous frapper, nous mettre hors d'état de nuire alors qu'on avait même pas de quoi se défendre ? C'était un acte excessif. Un acte... un acte barbare en quelque sorte. Clarisse avait une balafre sur le front, ils n'y étaient pas allés de main morte les connards.

-Clarisse ...? Tu m'entends ? C'est Leven.

J'espérais sincèrement que cette douleur à la tête allait s'en aller. Et vite. J'avais l'impression qu'on m'avait explosé une bombe dans le cerveau. Que des centaines de voix me hurlaient dessus.

-...Ouais ?
-Est-ce que tu cr...

La porte s'ouvrit dans un grand fracas, et mon instinct me hurla de la boucler en vitesse. Tant pis. Je lui parlerais quand tout cela serait fini.
Sauf que ça ne finirai jamais. Ce n'était que le début...

L'un des trois gardiens qui étaient entrés ouvrit la cellule de Clarisse. Et la première chose qu'il fit, a froid, sans un mot, fut de braquer son pistolet entre les deux yeux de ma copine et de lui tirer trois balles dans la tête. Pam. Pam. Pam. Son ADN sur le mur, elle tomba au sol, les yeux encore ouverts et son sang s'écoulant par terre.
A ce moment là, je vous avoue que j'ai totalement paniqué. Ce que je venais de voir était le fruit de mon imagination. Je ne m'étais pas réveillée ici. Clarisse était sûrement en train de se demander pourquoi je faisais un malaise. Mais ça ne pouvait pas être réel. Non non non et non.

-Elle, lança un homme avec des lunettes et un regard sévère, c'est elle. On l'emmène.

J'arrivais à peine à croire ce qui venait de se passer et entendait de loin les paroles de cet homme. Partir ? Partir où ? Pourquoi ? La seule chose que je retenais était Clarisse. Morte. Étalée. Perdue à jamais. Et quand enfin... mon cerveau assimila que tout était vrai, j'ai cru mourir. J'ai cru perdre la vue, l'ouïe, le goût. J'ai cru que jamais je ne pourrais vivre pareil. J'ai cru que chaque cellule de mon corps brûlait. J'ai cru me décomposer, ici, dans ce lieux horrible et totalement repoussant. J'ai cru qu'aujourd'hui serait le dernier jour de ma vie.

Je regrette tellement que tout ce que j'avais pu croire, ne puisse être réel. Car aujourd'hui. Je connais quelque chose pire encore que la mort... le désespoir.

Le lienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant