22. Le déluge 1/4 (réécrit)

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La diligence semblait bien vide.

– Et cette satanée pluie ! grommelait Tiam au bord de l'épuisement.

– Vous n'avez pas beaucoup dormi non plus, mademoiselle Luiset, déclara Anna.

– Non, Na, je suis sortie en forêt avec monsieur Jame. Nous avons emprunté un cheval aux écuries.

Cette nouvelle ne sembla pas froisser sa tante. Preuve que certains événements parviennent même à étouffer quelques temps les principes des plus protocolaires. Elle répliqua simplement :

– Je me demandais où vous étiez passée.

Luiset décida de lui expliquer la vraie raison de son escapade nocturne :

– Nous avons fait une leçon de tir. Je n'étais pas mauvaise. La mémoire de mes muscles est puissante. La prochaine fois, nous serons deux.

– Trois, dit Tiam en montrant le pistolet dans sa poche.

– Quatre, ajouta Viola dont les traits s'étaient durcis.

– Cinq, dit Garrett, ne sous-estimez pas Lieu. Ils ont tué Malty, je ne donne pas cher de la peau du prochain malfrat qui croisera sa route.

– Je finirais sûrement par m'y mettre, dit Anna sans grande conviction.

Après une courte pause, Garrett vint rejoindre Lieu pour lui tenir compagnie pendant qu'il dirigeait la voiture. Ils étaient tous les deux assis sur le banc, abrités du mieux qu'ils pouvaient malgré le vent qui chassait les cordes d'eau vers eux.

– R'gardez-moi ça ! dit le postillon.

La diligence venait d'entrer sur les Grands Chemins. C'était la route la plus large qu'il n'avait jamais vue, à travers la forêt épaisse.

– Tous ces arbres coupés !

– Eh bien ? demanda l'apprenti.

– C'est qu'toute c'te pluie qui tombe d'puis des jours. Voyez le ruissell'ment... Elle court. Plus d'racines pour r'tenir la terre, moins d'arbres pour la boire. Sans parler des animaux.

– Les animaux sont le cadet de mes soucis. Arrivons juste au Mont, qu'on en termine ! dit Garrett en massant ses arcades pour éloigner le mal de tête.

– M'sieur Totter s'ra vite au courant ?

– Je n'ai pas eu le courage de lui annoncer la mort de deux clients de la Forge. En réalité je n'y ai même pas pensé hier. J'évite de penser tout court. Si je pense, je m'écroule. Je lui écrirai au bout de ce funeste voyage.

– La police le fera.

– Alors il le saura avant que mon courrier n'arrive.

Le vent se calma un peu et Lieu reprit d'une voix moins haute :

– Trois ans qu'nous voyageons ensemble... Voyagions... Pas un m'vais bougre, c'te mort est bien moche !

– Pas un mauvais bougre, c'est vrai.

Le chemin qui montait obligea les voyageurs à se mettre dans le sens de la marche pour être bien calés sur les banquettes, même si le dénivelé était très progressif. Tiam, Viola, Anna et Luiset durent changer de côté lorsque le chemin redescendit. La diligence se trouvait dans une cuvette où résonnait le bruit des intempéries.

– La pente est raide, j'ralentis les ch'vaux.

– Eh bien, nous ne serions jamais passés avec la dilengenzia II, Lieu ! Les roues se seraient enfoncées dans le sol. Et par chance, le maréchal-ferrant a changé les fers des bêtes !

Luiset Madison (Trilogie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant