8. Derrière la montagne 2/4 (réécrit)

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La diligence s'ébranla tôt le lendemain pour poursuivre la traversée de la montagne. Contrairement aux autres passagers dont la courte nuit se rappelait en bâillements sonores, Tiam et Malty étaient alertes et reposés.

– En route pour un voyage entre deux soleils ! dit joyeusement le cocher dont le fouet fendit l'air.

Encore un peu endormie, Luiset contemplait les couleurs changeantes du ciel matinal. Si derrière elle, c'était encore la nuit, devant elle émanaient les premières lumières de l'aube. Elle s'occupa à compter les bornes milliaires mais s'endormit comme les autres. Ce fut lorsque le soleil remporta son combat que Meadow servit du thé aux voyageurs.

– Ce n'est pas de refus ! J'ai les pieds gelés ! dit Viola Spralt de sa chaude voix.

Après l'avoir observé ces dernières heures, Luiset pensait qu'elle était finalement très jolie. Elle enviait la vendeuse de fleurs, sur laquelle les regards de Malty, Lieu, Garrett et Tiam s'étaient posés avec envie. La jeune Madison avait fait sa première entrée dans le monde un mois plus tôt ; ce n'était pas sur elle que les soupirants s'étaient tournés. Si Viola avait parlé plus posément, elle aurait un grand succès, même auprès d'autres dames de haut rang, si ces dernières n'eurent pas succombé à la jalousie. Et pourtant, Luiset se reconnaissait dans le tempérament de la jeune femme qui semblait échapper aux règles.

– Je vous sers, mademoiselle Luiset ?

Anna Grimsey interrompit sa nièce en pleine réflexion.

– Non merci, Na.

– Combien de temps avant la pause ?

– Pas avant deux bonnes heures, madame Spralt.

– Bon, que pouvons-nous faire ?

– J'ai deux jeux de cartes ! déclara Anna Grimsey en fouillant dans le tiroir du petit meuble imbriqué dans la banquette.

Tiam et Luiset n'accompagnèrent pas les femmes. Le médecin préféra consulter le dernier numéro de sa revue scientifique et la jeune demoiselle vint s'asseoir près de Garrett :

– Vous êtes un peu vieux pour un apprenti, monsieur Jame.

– Je suis entré tard au service de monsieur Totter. J'étais matelot avant cela, mais la compagnie navale a mis la clé sous la porte.

– Vous avez donc le pied marin ?

– Pas vraiment, finalement je suis mieux sur la terre ferme.

– Et votre famille ? N'est-ce pas compliqué ?

– Je suis orphelin. Monsieur Totter est le seul homme bon que j'ai rencontré. Je n'ai que lui.

– Oh...

– Je suis content de mon sort, ne faites pas cette tête, mademoiselle Madison. Il s'est bien occupé de moi.

Les éclats de voix des joueuses de cartes ne vinrent pas perturber le stoïcisme du médecin. Leur partie dura jusqu'à la pause-déjeuner. Comme la veille, les voyageurs mangèrent à bord de la diligence, protégés du froid. Néanmoins, ils demandèrent à faire quelques pas avant de reprendre la route.

– Mademoiselle Luiset, venez s'il vous plait, pria sa tante qui lui tournait le dos.

– Je termine d'abord mon repas, Na. Garrett, euh, monsieur Jame n'a pas terminé non plus.

– Laissez la jeunesse, madame Grimsey, conseilla Viola Spralt. Et dépêchez-vous de revenir que je prenne ma revanche !

– N'y comptez pas, très chère. Je suis imbattable.

Le calme, jamais très loin dans ces circonstances, finit par envahir la voiture vers le milieu d'après-midi. L'infirmière et la bouquetière étaient retournées à leur place pour lire. Tiam Nuegill dormait, son chapeau abaissé sur son visage et Anna avait repris sa couture.

– Il faut que je travaille un peu mon rapport, mademoiselle Madison, dit également l'apprenti.

– Bien sûr.

Elle voulait immortaliser aux pastels les paysages montagneux qu'elle trouvait beaux et intimidants à la fois mais elle devrait attendre que la voiture emprunte un chemin moins abrupt. Elle piocha donc parmi ses romans et lut une bonne partie du trajet. Lors d'un arrêt demandé par Anna, qui avait surestimé l'endurance de sa vessie face au thé, Garrett s'entretint avec le cocher et le postillon. Il annonça aux voyageurs :

– Nous avons parcouru plus de vingt-neuf mille toises. Nous avons de l'avance !

– C'est incroyable, le progrès ! surenchérit Tiam en consultant ses aiguilles.

De fait, il faisait encore jour lorsque le clocher de l'église de Platy apparut fièrement au loin. Au fur et à mesure de leur descente, le froid s'était fait moins virulent et ils retrouvèrent de longues étendues. Sur la cime des arbres qui bordaient la route et les plaines, plus aucune feuille d'or ou de bronze n'était caressée par les rayons cramoisis du soleil couchant.

L'auberge où ils furent accueillis était une longue chaumière. Son toit était immense. La lueur des bougies à travers les croisillons en verre des fenêtres et l'odeur du feu de cheminée étaient une invitation à entrer dans ce lieu charmant.

Luiset Madison (Trilogie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant