Chapitre VI

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Mon pied droit se pose sur la ligne blanche du passage piéton. Rapidement, mon pied gauche le suit, allant marcher entre les lignes tandis qu'un bref sourire apparaît sur mes lèvres en imaginant un enfant, qui sauterait de lignes blanches en lignes blanches jusqu'au trottoir. Le bonhomme face à moi est vert. Sans arrière-pensée, je quitte le trottoir et pose les pieds sur la route. D'un pas assuré, j'avance jusqu'au trottoir, entendant trop tard le vrombissement d'un moteur. Je tourne la tête pour voir un pick-up bleu, sans conducteur, foncer sur moi. Les phares sont allumés, ce qui est plutôt étrange, car nous sommes en pleine journée. Mais mes yeux ne regardent que la place désespérément vide du conducteur, comme si je m'attendais à voir apparaître quelqu'un. Paralysée, je m'arrête net, ignorant les cris d'une femme, sur le trottoir d'en face. D'un coup, je me sens voler et je retombe sur le bitume, mon crâne heurtant le premier le sol, et tout s'éteint.

J'ouvre les yeux sur un plafond blanc et gris, sur lequel des petits dauphins nagent en groupe. Mes sourcils se foncent tandis que je me redresse doucement, mettant un peu d'ordres dans mes pensées. L'accident ? Non, il date. C'était il y a plusieurs années. Je cligne des yeux, cherchant à remettre mes pensées dans l'ordre. Le Directeur. Mon cri. Aoile. Je me suis évanouie. Ma main droite se pose sur ma tempe et je réprime une grimace. Ma tête est encore un peu douloureuse, sans doute à cause de ce cri surhumain que j'ai poussé, sans savoir pourquoi ni comment. Décidément, je vais devoir acheter des parts chez Lysopaïne. La première question qui me traverse l'esprit est : mais où suis-je ? Je repousse les draps bleus du lit dans lequel je semble avoir été emmené et observe mon nouvel environnement. Une chambre simple, blanche et bleue, avec pas mal de dessins, posters et peintures de dauphins. Est-ce que c'est la chambre d'Aoile ? Un bref rire me secoue tandis que j'imagine la blonde émerveillée devant des dauphins dans un parc aquatique. Non, définitivement pas le genre d'Aoile. Aurais-je un autre Ange Gardien à l'internat ? Certainement pas. Alors à qui est cette chambre ? Ce genre de décors ne correspond pas à l'internat ! Ma chambre chez Madame Henoch est parme, donc ce n'est pas ma chambre non plus. Il n'y a pas de chambre bleue chez Madame Henoch, sauf la cuisine. Et personne ne mettrait un lit dans la cuisine.

— Tu n'aimes pas les dauphins ? M'apostrophe une voix masculine.

Réprimant un cri de surprise, je serre les poings, enfermant les draps jusqu'à ce que mes phalanges passent au blanc. Je me retourne pour tomber nez-à-nez avec un garçon d'environ mon âge, aux cheveux auburn assez courts. Des lunettes grises aux verres épais laissent toutefois apparaître ses yeux bruns assez communs. Il me sourit tandis que je détaille son pull bleu à l'effigie de Flipper. Autant de bleu me donne presque l'impression de croiser un Avatar. Ou un stroumphs. En tout cas, il est bien trop bleu pour mon cerveau, qui commence à avoir le mal de mer. Visiblement, j'ai trouvé le propriétaire de cette chambre. Ce dernier s'avance vers moi, son regard balayant les différentes images de dauphins présentent dans la chambre, un petit sourire sur les lèvres. Il s'arrête devant l'une des images et passe lentement ses doigts dessus. Je vois ses lèvres remuer, comme s'il... Parlait au dauphin ? Je me mords la lèvre pour ne pas éclater de rire.

— Disons que je n'ai jamais eu l'occasion d'en voir un vrai. Et tu es ? Je demande, un sourire au coin des lèvres.

Le jeune homme s'avance vers moi et m'observe à son tour. Il est assez grand, plus que moi en tout cas. Il est légèrement musclé, comme le laisse paraître son pull. Ses lunettes lui donnent un petit côté scientifique, mais le nombre de livres présents dans cette chambre soutiennent plutôt un profil littéraire. Je me rends soudain compte que je n'ai pas le moins du monde peur de ce qu'il peut me faire. Je veux dire, je me réveille dans son lit, je ne le connais pas et il a l'air d'avoir un très sérieux penchant pour les dauphins. Il pourrait être un psychopathe zoophile, ou un truc du genre. Pourtant, je suis parfaitement calme.

— Tu as devant toi l'expert en dauphin, autrement nommé le Dauphinateur. Et tu es ? Me parodie-t-il avec humour.

Je tombe des nues. Et quelques sueurs froides commencent à couler le long de mon dos. Il ne sait pas qui je suis ? Alors comment j'ai pu atterrir dans sa chambre ? Mes doutes concernant le zoophile commencent à s'imposer dans mon esprit et je recule instinctivement, me collant au mur, les genoux ramenés contre ma poitrine. Ma bouche s'entrouvre légèrement sous l'effet de la surprise tandis que le garçon explose de rire. Je fronce les sourcils, vraiment apeurée.

— Tu devrais voir ta tête ! Ne t'inquiète pas, tu es en sécurité ici. Ma mère adoptive t'a soigné. Tu avais sérieusement besoin de repos ! Et vu qu'on n'a pas de chambre d'amis, on t'a mis dans la mienne. Tu devrais me remercier, j'ai dormi par terre pendant deux jours pour tes jolis yeux ! Enfin, pas uniquement, mais l'autre est plutôt persuasive aussi..., explique-t-il avec un grognement.

Je ne cache plus mon sourire et le rejoins vite dans son fou-rire. Je ne sais pas vraiment qui est ce garçon, mais il a de l'humour, c'est un bon point ! Mais rapidement, je reprends mes esprits. J'ai dormi quarante-huit heures ? C'est énorme ! Surtout pour un simple évanouissement.... C'est complétement dingue. Mais vie est dingue, de toute façon. La seule chose qui ne l'est pas, c'est de me retrouver ici. Ou presque. L'envie de demander où exactement, je suis me traverse l'esprit, mais je finis par garder cette question pour moi. Après tout, je ne connais pas grand ce garçon, et je n'ai aucune envie de lui expliquer le pourquoi du comment de mon évanouissement. Qui sait comment il réagirait ? Je me contente de sourire d'un air parfaitement stupide et de lever les yeux au ciel, tout en quittant le lit pour m'approcher dudit Dauphinateur.

— Merci monsieur le Dauphinateur. C'est trop d'honneur voyons ! Sinon, est-ce que mon amie Aoile est encore ici ?

À ces mots, je le vois grimacer, un peu comme s'il était tombé sur un grain de poivre dans sa soupe de midi. Visiblement, Aoile laisse un mauvais souvenir d'elle-même à chaque personne qu'elle rencontre. Ce que je me demande, c'est comment cette famille a su que j'avais besoin de soin ? Je me dois donc de supposer qu'Aoile les connaît aussi et que c'est elle qui m'a amené ici. Il enlève ses lunettes pour les nettoyer à l'aide de son pull, avant de les remplacer correctement sur son nez.

— Ouais. Impossible de la faire bouger tant que tu n'étais pas réveillée.... Je te jure, celle-là.... J'ai bien essayé de lui demander de mouvoir son arrière-train, mais elle a failli m'embrocher ! J'ai une tête à finir en kebab ?

Je me mords les lèvres pour ne pas rire. Je connais très peu Aoile, c'est vrai. En un an, on s'est très peu parlé, sans doute parce qu'hormis lors de mes crises, elle n'était pas souvent à mes côtés. Mais elle ne semble pas vraiment être le genre de fille à comprendre ou même faire de l'humour. Très terre-à-terre, j'avais déjà pu voir la blonde s'embrouiller et se battre pour moins que ça. Surtout avec des adultes, maintenant, que j'y pense. Enfin, elle n'a jamais levé la main sur nos camarades de classe, mais je pense que c'est surtout pour ne pas propager une image violente d'elle-même. Enfin, je n'en connais pas toute les raisons, mais je l'ai déjà vu « agresser » plusieurs élèves du regard. C'est plutôt efficace.

Les Chroniques d'Idan (tome 1) : La Dernière BansheeWhere stories live. Discover now