CHAPITRE 8

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OPHÉLIE


En fin d'après-midi, j'ai mal partout. Mon corps endolori me fait payer la pointe de vitesse que j'ai dû taper après notre altercation avec Evan. Nathalie compte sur moi, je ne peux pas la décevoir.

— Tu peux te tourner, juste un peu ? Voilà, comme ça.

Mon mannequin anglais se laisse faire. Il n'a plus rien dit depuis que je me suis excusée, ce qui représente des heures entières de silence sous l'égide de son regard perçant. Il me fixe sans relâche, comme si j'étais l'une des sept merveilles du monde antique, ressuscitée par miracle. À choisir, j'aimerais autant représenter les jardins suspendus de Babylone que le Mausolée d'Halicarnasse.

La mort, ça ne m'évoque pas un avenir très glorieux...

L'atelier est grand. Les gens sont nombreux et fourmillent en tous sens. Il y a des pièces de créateur partout, des somptuosités pensées par Alex Ivero qui à mes yeux, est l'un des plus grands visionnaires de sa génération.

Mais non. Evan préfère continuer de me contempler, à tel point que je lui ai demandé plusieurs fois s'il voulait me dire quelque chose. On ne fixe pas les gens sans raison...

À chaque fois, il m'a répondu par la négative.

— Pose le pied juste là...

Il s'exécute. Le pantalon que je dois reprendre ne correspond pas exactement aux proportions indiquées dans la fiche technique que j'ai reçue. Non pas que j'étais distraite en la réalisant. Il arrive parfois qu'entre des données chiffrées et la réalité, tout ne tombe pas comme prévu. C'est pourquoi on reprend toujours les pièces sur les modèles qui les porteront lors du défilé.

Alex Ivero met un point d'honneur sur la précision, la minutie et le perfectionnisme. Rien n'est laissé au hasard avec lui et c'est sûrement ce qui lui a permis d'ériger son concept au rang des marques de luxe les plus réputées. L'idée serait d'obtenir le label haute-couture d'ici un ou deux ans. L'appellation contrôlée possède des règles extrêmement strictes et n'y rentre pas qui veut.

Më acaron ! grogné-je.

— Un problème ?

Je soupire.

— Le liseré tombe mal par rapport à la couture et à l'écart de tissu au niveau de la cheville. Le défaire pour correspondre aux attentes de la fiche technique me prendra un temps fou. Mais si je ne le fais pas, Alex Ivero s'en rendra compte.

D'un autre côté, au cours du défilé, je doute que qui ce soit s'aperçoive d'un tel détail. J'ai simplement trop de respect pour mon employeur pour me permettre une telle fourberie. Et puis, je dessine moi-même mes propres modèles. Je détesterai que quelqu'un s'arrange avec mes décisions parce que « ça lui prendrait trop de temps ».

— J'espère que t'es pas pressé, 176. On n'est pas partis...

— J'ai tout mon temps, murmure-t-il de sa voix grave.

Je relève la tête, son regard coule dans le mien. Un nœud me pince l'estomac. Je m'empresse de me concentrer sur mon liseré, avant de perdre les pédales.

C'est quoi mon problème aujourd'hui ?

Deux heures plus tard, je passe le revers de ma main sur mon front. J'ai enfin achevé les reprises sur mon pantalon, non sans y avoir laissé ma raison au passage.

Evan le retire sur ma demande. Je ne peux m'empêcher d'observer ses doigts charpentés s'affairer sur le bouton, puis sur la fermeture Eclair. Le tissu s'écoule le long de ses jambes avec la sensualité d'une goutte de sueur qui disparaît entre deux pectoraux.

CE QUI NOUS CONSUME (en librairies)Where stories live. Discover now