CHAPITRE 4

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OPHÉLIE


Dans le vestibule de mes parents, je plaque un sourire sur mes lèvres. Si je tire une tête de six pieds de long, je vais encore me manger une réflexion.

À quoi bon ? Quand ce n'est pas celle-là, c'en est une autre.

Mes parents possèdent un sublime appartement dans le seizième arrondissement. Une hauteur sous plafond à en faire se frotter les mains EDF, des moulures, un parquet d'origine et une décoration évoquant le luxe du dix-huitième siècle. Il n'y a pas à dire, ma mère a su tirer son épingle du jeu. Quand elle est arrivée en France, elle savait à peine dire « bonjour » et « merci », et n'avait ni travail, ni logement.

Ancienne mannequin en Albanie, elle a trimé en faisant des ménages avant de rencontrer mon père. Grâce à ses relations, elle a pu reprendre le chemin des podiums quelques années avant d'être jugée trop vieille. Ce monde exige de la chair fraîche en permanence.

Aujourd'hui, elle est décoratrice d'intérieur. Un simple coup d'œil sur l'harmonie de chaque pièce de cet appartement en dit long sur son talent dans ce domaine. Sa reconversion est une belle réussite.

— Ma puce, tu me donnes ton manteau ?

Jérôme n'est jamais aussi parfait que devant mes parents. Parfois je me demande si c'est moi qu'il cherche à séduire ou mon père. Je comprends mieux pourquoi il nous trouve gamines avec Aline et Lisa à critiquer Charlène et son comportement de lèche-bottes. Au fond, ils ont des points communs.

Un frisson me secoue. Comparer Jérôme à Charlène... ça ne va pas bien dans ma tête. Plus jamais !

— Ma fille !

Ma mère se précipite vers moi et me prend dans ses bras. Sa bouche se presse contre ma joue et elle murmure :

Të dua.

Ses cheveux bruns ondulés effleurent ses épaules depuis qu'elle les a coupés. Si des rides sillonnent son visage, elles lui offrent un charme indéniable. Je serais très chanceuse de lui ressembler, passée la quarantaine.

Mirdita mami. Të dua edhe unë !

Ma mère s'approche de Jérôme et le serre contre elle. Mon père, vêtu d'un costume similaire à celui de mon copain, lui offre une poignée de main ferme. Je vais pour l'embrasser mais il se contente d'un signe de tête.

— Ophélie !

Super ! Le patriarche est encore bien luné, aujourd'hui...

— Papa.

Ce mot m'écorche la bouche. Cet homme est à peine un père, encore moins un papa. Pour obtenir ce titre, il faudrait déjà qu'il m'accorde plus d'attention qu'il en octroie à un chewing-gum collé sous sa chaussure.

— Allez ! Venez dans le salon. J'ai préparé une apéritif.

— Un apéritif, maman, la corrigé-je doucement.

— Oui, un apéritif, répète-t-elle.

Jérôme et moi nous installons sur le canapé en velours vert sombre. Il pose sa main sur ma cuisse dans un geste possessif, exactement comme mon père le fait avec ma mère. Je me demande s'il réalise qu'il reproduit tous ses gestes par mimétisme. Ça devient inquiétant ! Je n'ai aucune idée de ce que me réserve l'avenir et parfois, je suis paumée dans mes aspirations.

Mais s'il y a bien une chose dont je suis sûre, c'est que je n'ai pas l'intention de me farcir la version 2.0 de mon père jusqu'à la fin de mes jours.

CE QUI NOUS CONSUME (en librairies)Where stories live. Discover now